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Le Mème

Depuis la publication de Chasseral love l’année dernière, je travaille à un nouveau roman, qui aura lui aussi un ancrage local, mais dont les thèmes et les situations sont beaucoup plus larges.

Avec l’ancrage local, les personnages sont plus fortement incarnés que si je faisais du hors sol en les situant dans des endroits que je connais mal. On visitera donc le kiosque d’un village du Jura bernois, une start-up que je domicilie à Marin non loin du centre commercial, un poste de police à Bienne, où deux inspecteurs doivent résoudre l’énigme de deux meurtres étranges. C’est peut-être anecdotique, mais l’histoire que je raconte pourrait se passer dans quantité d’autres endroits.

La dimension universelle est suggérée par le titre de travail de mon roman : Le Mème. Le mème est pour moi un micro-élément de conduite humaine (il existe d’autres définitions). Imaginez qu’on analyse nos comportements en les réduisant à des unités (les mèmes) étiquetables en fonction des relations qu’elles peuvent entretenir avec d’autres micro-comportements. Nos conduites deviendraient comme un langage sur lequel on peut travailler. Il existe des analyseurs syntaxiques, des parsers capables de traiter de grandes quantités de textes et d’y repérer des formulations typiques, des clichés, par exemple les stéréotypes féminins et masculins dans la littérature. Pourquoi ne pas faire la même chose avec les comportements humains ? Si on enseignait ces éléments et des clés d’analyse aux ordinateurs, si on demandait à l’intelligence artificielle de dégager des unités comportementales significatives, on établirait une grammaire et une syntaxe comportementales permettant d’analyser, puis de prévoir, puis de déterminer les comportements, aussi bien ceux d’une personne seule que ceux de plusieurs personnes qui interagissent.

Ingénierie sociale, vieux rêve ! Supprimer autant que possible le hasard et les ambiguïtés ! Le gouvernement parfait. L’horreur, à coup sûr, mais quand je lis les journaux, je vois certaines recherches aller dans cette direction. C’est un thème important du Mème. Et les personnages dans tout cela ? Ils sont bien occupés, et moi avec eux.

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Trois mois

Cela fait trois mois que je n’ai rien publié ici. Trois mois ! Je dois retrouver l’habitude de dire mes préoccupations et mes histoires, pas pour les lancer à la face du monde, mais parce que j’ai besoin de réactiver ce blog avant que je ne l’oublie.

Et c’est important. Le blog reste un outil essentiel pour réfléchir pendant un certain temps sur des thèmes que je considère importants. Marc Weidenbaum le dit dans son propre blog Disquiet.com. Tenir un blog permet de laisser une trace de ces réflexions, un peu comme l’escargot avance en laissant derrière lui sa traînée de bave. L’histoire du Petit Poucet montre que les traces sont vitales : elles lui ont permis de ramener ses frères à la maison.

J’emprunte cette image à une citation de William Kenstridge trouvée sur le blog d’Austin Kleon, cet encourageur qui ne cesse de proclamer : Keep going ! continue !

Voilà, ce n’est pas très long, mais les liens vont vous conduire vers des choses intéressantes.

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Déboulonner

Depuis la mort de George Floyd, la présence de statues d’hommes célèbres qui ont aussi été esclavagistes devient intolérable à de nombreuses personnes. Ainsi, à Bristol, des militants antiracistes ont déboulonné la statue d’Edward Colston (1636–1721), qui a pris part à la traite de 84’000 esclaves dans le cadre du commerce triangulaire. Colston était aussi un philantrope qui a beaucoup donné pour le développement de sa ville, créant des écoles, des orphelinats, généreux à l’égard des églises et des associations caritatives. D’où la statue, mais aussi une rue, une avenue, une salle de spectacle et un petit pain à son nom. La statue honore certainement le philanthrope, mais il a été esclavagiste, et c’est pourquoi les manifestants de Bristol ne se sont plus contentés que sa statue soit taguée d’un slave trader : ils l’ont renversée, piétinée et jetée dans le port.

Plus près de chez moi, en 2018, l’adresse de la faculté des Lettres et des Sciences humaines de l’Université de Neuchâtel a changé, car les autorités de la ville ont rebaptisé l’Espace Louis-Agassiz en Espace Tilo-Frey. Louis Agassiz (1807-1873) a été l’un des plus fameux scientifiques de son temps, spécialiste des poissons et théoricien des glaciations. Son nom est attaché à plusieurs espèces animales et à une montagne, le pic Agassiz, dans les Alpes bernoises. Il s’est installé aux États-Unis, où il a poursuivi ses études des glaciations, et un lac américain porte son nom. Mais Agassiz a aussi développé des théories selon lesquelles les races humaines seraient associées à des zones climatiques, fournissant une justification « scientifique » du racisme, raison pour laquelle il a été décidé de donner à cette place le nom de Tilo Frey, femme politique suisse d’origine camerounaise.

Ces motivations sont honorables. Le racisme n’est pas tolérable. Faut-il dès lors continuer ce processus et supprimer également la statue de David de Pury, qui se dresse sur la place qui porte son nom à Neuchâtel ? David de Pury (1709-1786) a amassé une fortune considérable dans le commerce des diamants et du bois précieux et, tout comme Edward Colston, il s’est enrichi dans le fameux commerce triangulaire. Si on l’a fait pour Colston, si on a débaptisé l’Espace Louis-Agassiz, il n’y a pas de raison de laisser la statue de David de Pury en place, même si Neuchâtel a énormément bénéficié de sa générosité pour son développement.

Mais le déboulonnage des statues ne relève pas que de la justice et de la morale: c’est aussi une attitude problèmatique à l’égard de l’histoire. Nos sursauts d’indigation ne supportent pas que notre histoire comporte des aspects déplaisants, surtout quand il s’agit de racisme. Et encore moins d’en avoir des témoins sous nos yeux en forme de statues au milieu de nos places.

Je me souviens de ma stupéfaction quand, visitant le musée Lénine de Prague, dans les années 1970, j’ai découvert que les photos des membres fondateurs de l’URSS avaient été modifiées pour en effacer l’image de Trotski. Or Léon Trotski a été, avec Lénine, le principal instigateur de la Révolution d’octobre, et il a fondé l’Armée rouge. Son rôle a été considérable durant les premières années de l’Union soviétique. La jeune guide, à qui on a fait observer que Trotski manquait sur la photo, ne s’est pas démontée : c’était un traître, et les traîtres n’ont pas droit aux honneurs de l’histoire. J’ignore ce que ou qui Trotski a trahi, mais je sais qu’il a été chassé du gouvernement par Staline, qui l’a ensuite fait exclure du Parti communiste, et enfin assassiner au Mexique en 1940.

Aujourd’hui, beaucoup de statues de Staline et de Lénine ont disparu, déboulonnées elles aussi. Et si vous avez lu 1984, vous savez que le ministère de la Vérité s’occupe de modifier l’histoire du passé pour qu’elle colle à la propagande du moment.

Certes, nous n’en sommes pas à réécrire l’histoire. Mais il y a mieux à faire que de déboulonner les statues de ceux dont le passé nous choque : un devoir de mémoire à accomplir, moins expéditif et moins festif que l’iconoclasme appliqué aux tyrans et aux racistes. Il pourrait nous amener à réfléchir sur nous-mêmes et sur notre époque, à nous demander comment nous serons jugés dans un ou deux siècles, à supposer qu’il y ait encore des hommes et des femmes sur terre pour s’intéresser à nous. Nous, justiciers antiracistes, quelles sont les choses que nous célébrons, que tolérons ou que nous faisons tout pour ignorer, et qui pourraient être sévèrement jugées par nos descendants ? Deux exemples. Sommes-nous sûrs que nos caisses de pension ne financent pas l’industrie d’armement ou le commerce des matières premières, dont on dit qu’il peut être très dur envers les travailleurs qu’il exploite ? Savons-nous dans quelles conditions sont produits les vêtements bon marché que nous portons ?

Ce serait bien d’y songer — et aussi que cesse cette manie d’ériger des statues.

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Dans l’air du temps, vraiment ?

Quand un blog s’appelle « Dans l’air du temps », on s’attend à ce qu’il y soit question de l’actualité. Or je reste le plus souvent dans l’anecdote, ou j’aborde des sujets à contre-temps. Tout le monde ayant un avis à propos de tout, il y a tellement de commentaires et de débats stériles que je ne vois pas la nécessité d’y ajouter mon grain de sel. Je préfère me situer dans l’accessoire et dans l’intempestif. J’admets que c’est aussi une solution qui me dispense de m’exposer en prenant parti sur les plus grandes.

Mais « qui ne dit mot consent », prétendait le pape Boniface VIII (1235–1303) : qui tacet consentire videtur. Vraiment ? Énumérer tout ce avec quoi je ne suis pas d’accord serait une tâche sans fin. Un exemple ? Je viens d’apprendre par Wikipedia que Boniface VIII est « célèbre pour avoir porté à son sommet l’absolutisme théocratique de la papauté ». Eh bien, voilà quelque chose avec quoi ne je suis pas du tout d’accord, et qui confère à sa formule des relents totalitaires. Qu’il soit donc connu que je ne consens pas tacitement à tout ce à quoi je n’apporte pas d’objection expresse.

Cela dit, il y a des moments où je ne vois plus comment éviter de parler de ce qui me fâche, me choque, me scandalise. Aujourd’hui, ce sont les deux événements suivants. La mort de George Floyd sous le genou d’un policier comprimant son cou pendant plus de 8 minutes montre jusqu’où peut aller le mépris d’autrui et le déni des droits les plus élémentaires, dans un pays qui se pose en défenseur de la liberté et des droits de l’homme. Comment peut-on traiter ainsi ses propres citoyens ? C’est trop.

Je ne supporte pas que son président ose s’emparer de la Bible pour faire sa propagande électorale au moment même où la police jette des gaz lacrymogènes contre ceux qui ont osé protester contre la mort de George Floyd. C’était le 1er juin. Qu’il applique à lui-même la loi et l’ordre et laisse tomber ce slogan au nom duquel tant de violences ont été commises. Ça suffit.

Le pasteur allemand Martin Niemöller était un homme courageux. Créateur de la Ligue d’urgence des pasteurs pour refuser les mesures antisémites du pouvoir nazi, il a été déchu de ses fonctions en 1933, arrêté en 1937 et fait prisonnier à Sachsenhausen et Dachau de 1941 à 1945. Il est l’auteur du fameux poème Quand ils sont venus chercher…

« Quand les nazis sont venus chercher les communistes,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas communiste.

Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas social-démocrate.

Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas syndicaliste.

Quand ils sont venus me chercher,
il ne restait plus personne
pour protester. »

Dans ce qui fait l’air de notre temps, notre Zeitgeist, l’inquiétant est que cet inquiétant poème redevient d’actualité.

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Byword aime WordPress

Je viens de lire dans le blog d’Alan Jacobs qu’on peut écrire des choses dans Byword et les publier via WordPress sans difficulté. Je l’ignorais et Je me fais maintenant un devoir de vérifier la chose.
Parce que cela change carrément la donne.
Reste à trouver la procédure qui permet de faire cela depuis mon iPad. Pour cela, il faut trouver les commandes qui permettent d’exporter le texte vers Worpress, et je cherche, je cherche.
OK, touche ESC. Puis appuyer sur les trois points en haut à droite et on choisit « Publish ».

Il ne reste plus qu’à indiquer le nom du site, le nom de l’administrateur et le mot de passe. Et ça fonctionne.

Merci Alan.

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Acouphènes

J’ai dû donner mes appreils auditifs en révision aujourd’hui. Je les retrouverai dans une semaine. Qu’est-ce que je me réjouis ! Quand je les porte, mes acouphènes quittent le premier plan. Ils reculent de deux ou trois degrés. J’entends d’autres choses, le chant des oiseaux par exemple, et je comprends mieux ce qu’on me dit, parce que les appareils compensent les fréquences auquelles je suis devenu sourd.

En ce moment, mes acouphènes sont là, stables, forts, rectilignes d’une oreille à l’autre, un sifflement continu sur deux ou trois fréquences simultanées, combinées, stables et raides. Je repense aux téléviseurs des années soixante, qui sifflaient dès qu’on les allumait. C’est pareil, sur une fréquence probablement plus basse, parce que je n’entends plus les fréquences supérieures à 10 kHz. Je n’ai pas l’impression qu’elles me manquent. Ce qui me manque, c’est le silence des acouphènes. Ça va mieux la nuit, car j’ai appris à en faire abstraction, ou parce que leur intensité diminue, je ne sais pas.

Le jour où je n’entendrai plus mes acouphènes, je serai mort ou ressuscité, ma préférence allant au deuxième terme.

J’ai probablement détruit mes oreilles lors d’un concert de Frank Zappa à Berne dans les années 1980. Je me tenais à l’arrière de la salle, mais je me suis avancé dans le couloir latéral de droite pour aller aux WC ou chercher à boire, je ne sais plus. Il y a eu un moment où je me suis rendu compte que c’était trop. La musique m’arrivait dessus comme des blocs de béton. C’était fort à en atteindre une sorte d’abstraction de silence.

Les acouphènes ne sont pas apparus immédiatement. Ils ont attendu vingt ou trente ans pour s’inviter. Depuis, ils sont si bien installés que je ne peux plus espérer les voir s’en aller. Les sons que j’entends me parviennent comme à travers un solide grillage sonore.

Mais bon, ça ira mieux dans une semaine.

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La technique, un système, un monde

La technique me donne à penser depuis longtemps. La photo de l’antenne de Chasseral, qui sert d’en-tête à ce blog, en témoigne à sa façon.

La technique est omniprésente, pas seulement à cause du nombre incalculable d’objets techniques dont nous nous entourons, mais parce qu’elle imprègne nos mentalités, parce qu’elle infléchit nos raisonnements. Elle n’est pas seulement dans le monde, elle est notre monde. Les problèmes qu’elle se pose sont toujours des problèmes techniques. Elle ramène tout à ça et c’est pourquoi elle pense avoir des solutions à tous les problèmes.

Il paraît impossible d’en sortir, pour deux raisons.

Tout d’abord, la technique n’est pas simplement un élément parmi d’autres, dispensable et facultatif. La technique est un système et, en tant que système, elle « sait » s’adapter aux circonstances, aux défis; elle se renouvelle, trouve des solutions, se maintient et croît. C’est parce qu’elle nous englobe qu’il est si difficile de la penser comme phénomène global.

La deuxième raison est qu’elle a des racines extrêmement profondes en Occident, car elle est l’accomplissement de la métaphysique occidentale. Ces grands mots peuvent surprendre s’agissant de la technique, mais elle trouve son origine dans une certaine attitude que les philosophes des XVIe et XVIIe siècles ont théorisée, une conception issue de Descartes, entre autres, qui oppose la pensée, comprise comme l’essence même de l’homme, à tout le reste : « l’étendue », la matière, le monde extérieur, la nature. La pensée a mission de comprendre, de mesurer, de maîtriser ce qui est devant elle et s’oppose à elle. Du coup, la philosophie se fait science, vise la pratique, la transformation des choses, la maîtrise des lois naturelles pour les utiliser à notre profit, par exemple en comprenant l’origine des maladies et en produisant remèdes, parades et protections. Tout devient objet de pensée, objet pour la pensée, et c’est tellement efficace qu’à l’arrivée, il n’y a plus rien que des objets, tout a été transformé en objets. C’est très résumé, mais ça donne l’idée.

Avec cette double caractéristique d’être un système et de réaliser dans les choses l’aboutissement de métaphysique, le système technicien est solide et se présente comme un accomplissement tellement enviable qu’il a pris sur toute la face de la terre.

On peut s’en féliciter, mais on doit aussi interroger ce phénomène.

Comment s’y prendre ? Est-ce même possible ?

Oui, à condition de s’en extraire pour développer la possibilité de penser autrement non seulement la technique, mais aussi l’existence humaine, la nature, notre vie. Tant qu’on ne sort pas du monde, littéralement, pour trouver un point d’ancrage qui lui échappe, une réalité à l’aide de laquelle on puisse faire de la technique elle-même un objet de pensée, évaluable et démontable, c’est impossible.

Sans un transcendant, la critique de la technique est impossible.

« Le Transcendant {…) est la présupposition sans laquelle l’idée même d’une extranéité par rapport à la Technique moderne n’est pas possible. »

Jacques Ellul, Théologie et technique, Labor et Fides, 2015, p. 121.

Ellul l’a trouvé dans la révélation biblique, commme on l’a vu l’autre jour.

Est-ce à dire que la technique est déjà dans la Bible ? Peut-être bien, mais pas de la manière dont on s’y attend :

« La technique n’est pas le fruit du péché, mais le produit de la situation où le péché a mis l’homme, c’est-à-dire le règne de la nécessité. La technique est le nouveau milieu de l’homme, le nouveau sacré de l’homme, dont nous sommes tous des dévots idolâtres. »

Frédéric Rognon, introduction à Théologie et technique.

Il faudra y revenir.

Photo by Marvin Meyer on Unsplash. Mais encore une fois, la technique, c’est beaucoup plus que les ordinateurs.

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Un choc, quand même

C’est quand même un choc de lire ceci sous la plume de Jacques Ellul, à la page 19 de ce livre :

Le Vouloir et le Faire

L’explication doit se faire à visage découvert. J’avouerai donc que dans cette étude et cette recherche, le critère de ma pensée est la révélation biblique; le contenu de ma pensée est la révélation biblique; le point de départ m’est fourni par la révélation biblique; la méthode est la dialectique selon laquelle nous est faite la révélation biblique; et l’objet est la recherche de la signification de la révélation biblique sur l’Éthique.

On ne lit pas fréquemment ce genre de déclaration. Mais qu’est-ce que ça fait du bien !

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Tant qu’à faire…

Tant qu’à faire, il faut faire, il faut se donner cette exigence, jour après jour, de poser les mots après les mots pour  garder vivant ce processus bizarre qu’est l’écriture. Comme une création qui doit se poursuivre indéfiniment pour ne pas retomber dans le néant. Et donc, sans l’avoir délibéré, prévu ni planifié, poser un mot après l’autre pour dévoiler la suite de l’histoire, de la réflexion, de l’invention. Si je renonce à cette exigence, je me laisse aller à ma pente paresseuse, je renonce à avancer et à découvrir ce que ma phrase va, en fin de compte, exprimer, rendant la suivante possible, et une autre après elle. L’histoire, la réflexion, la découverte ne viennent pas toutes seules : il faut tirer sur le fil pour alimenter la suite, comme la personne qui tricote continue de tirer sur sa pelote pour augmenter le pull d’une rang, puis d’un autre, jusqu’à ce qu’il soit complètement réalisé. Sauf qu’elle a un projet précis, un patron, un modèle. Tel n’est pas toujours le cas dans le processus de l’écriture.

Dans la création, le processus est plus important que le résultat final. Impossible de produire de l’excellent à tous les coups. Il y a des échecs, des ratages, des amélirations, quelques réussites encourageantes. Je le vois en tant que participant aux défis hebdomadaires du site 52frames, qui propose aux gens qui aiment la photo de poster chaque semaine une image prise la semaine même, sur un thème imposé. Un compteur automatique indique le nombre de semaines consécutives pendant lesquelles on a relevé le défi. Les participants sont invités à commenter les photos des autres, et une forme de communauté se créée. On voit bien que toutes les photos postées par les autres ne sont pas des chefs-d’oeuvre, et du coup on se gêne moins d’envoyer une image moyenne.

Mais mieux vaut une image moyenne, ou faible, que rien du tout : voilà le secret. 

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Réamorçage

Ce n’est pas qu’il ne se passe rien dans le monde, ni qu’il n’y ait rien à dire sur le coronavirus et le confinement qu’on nous demande d’observer. La planète s’est arrêtée, le pétrole coûte moins que rien, les services de santé sont au front, et les gens qui guérissent du Covid-19 témoignent qu’ils ont passé par des moments très difficiles. Étant moi-même une “personne à risque”, je reste prudent. Je vais quand même courir, tôt le matin, à la campagne, dans des lieux où je ne croise, exceptionnellement, que d’aussi vieux que moi. Je serais malvenu de me plaindre, j’ai de l’espace en suffisance chez moi. Je ne vais pas faire exprès d’aller m’exposer dans des endroits où je risquerais ensuite d’infecter d’autres que moi.

Mon petit souci est différent. Le confinement fait tourner mon moteur d’écrivain au ralenti. Le roman auquel je travaille a de la peine à avancer. Je ne peux ni visiter les endroits que j’ai choisis comme cadres de l’action, ni rencontrer des gens pour me renseigner sur leur travail, les observer quand ils y sont, respirer les ambiances, prendre des notes, capter des images. J’ignore quand cela redeviendra possible. Sans ces aliments extérieurs, ma progression est à la peine. À cela s’ajoutent des engagements et des responsabilités qui, tout à coup, réclament toute mon attention et toute mon énergie. Les vidéoconférences sont précieuses pour garder le contact avec ses proches éloignés (curieuse expression), mais aussi des outils qui vous obligent à danser sur des musiques que vous n’auriez pas choisies. Voilà comment je perds la paix et la sérénité, la distance et la disponibilité dont j’ai besoin pour écrire. Je voudrais faire taire les soucis du dehors, mais ils ne m’entendent pas. Je ne parviens pas à m’anesthésier pour les oublier, et même si j’en étais capable, je craindrais que cette anesthésie ne s’étende aux choses dont j’ai besoin pour écrire.

Soucis de luxe, j’en conviens, mais comme une partie du sens de mon existence vient du travail avec l’écriture, je décide de reprendre ce blog, de me contraindre à écrire quelque chose et à le publier ici, quitte à parler de tout et de n’importe quoi pour réamorcer la pompe. La suite viendra, je l’espère, plus facilement.

Photo by Jen Theodore on Unsplash