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Roni Horn démultipliée

La Fondation Beyeler expose en ce moment des œuvres de l’artiste américaine Roni Horn dans des installations qui interrogent la question de l’identité.

Qui suis-je ? Ma carte d’identité me le dit, je suis celui dont la photo et le nom figurent sur ce rectangle de plastique. C’est rassurant, le document établit clairement mon identité – mais pour 10 ans au maximum. La mienne devra être renouvelée dans quatre ans. Qui serai-je alors ?

Ce qui est identique est ce qui reste pareil à soi-même, sans changement, le même hier, aujourd’hui et demain. Les poètes n’y croient guère. Vous connaissez Mignonne, allons voir si la rose… Vous avez entendu Juliette Greco en chanter la version mi-vingtième : Si tu t’imagines, fillette, fillette, xava xava xa, va durer toujours, la saison des za, saison des amours, ce que tu te goures, ce que tu te goures !… Pas besoin de Ronsard ni de Queneau parolier pour s’en rendre compte. Je ne suis plus le même à 65 ans qu’à 45 ou à 25, et cela ne tient pas seulement à l’expérience que j’ai acquise. Pourtant, je ne cesse pas d’être moi-même, et c’est là le plus mystérieux.

Roni Horn approche l’identité par plusieurs chemins. Il y a d’abord ces portraits photographiques accrochées deux par deux, qui opposent l’enfance et l’âge mûr, le masculin et le féminin, l’insouciance et la préoccupation – jusqu’à ce qu’on remarque que c’est toujours la même personne qui est photographiée, Roni Horn, justement.

Dans une autre salle, Th Rose Prblm, elle joue sur deux expressions célèbres : Come up smelling like a rose (à peu près : tire-toi de cette situation frais comme une rose) et une phrase de Gertrude Stein : A rose is a rose is a rose. Tirer son épingle du jeu, c’est s’en sortir indemne, comme on était avant. Pour sa part, la triple identité de la rose selon Stein dit assez qu’elle est bel et bien rose (…mais Ronsard nous a prévenu qu’elle va se faner). L’accrochage est un festival de découpages des mots coloriés, hachés, remontés, qui dissolvent le sens qui continue pourtant, de loin, de se rappeler à nous. Les deux mêmes phrases sont répétées du début à la fin, déclinées en différentes couleurs, découpées et remontées à chaque fois de manière unique. Identité, éclatement, mais scrupuleusement dans l’ordre des couleurs de l’arc-en-ciel.

Avant de relire Différence et répétition de Deleuze, on peut encore visiter quatre autres salles qui continuent l’exploration de la variabilité. Les grandes photographies de la surface de l’eau d’un seul et même fleuve, la Tamise, dans différentes situations météorologiques ; les vasques de verre de cinq tonnes chacune aux colorations différentes, qui projettent des ombres spécifiques et dépendantes de la lumière et du passage des visiteurs, etc.

Les œuvres ici rassemblées datent des vingt dernières années : c’est dire si la question préoccupe Roni Horn. La dernière salle paraît plus anecdotique : elle rassemble des photographies d’objets différents qui ont un seul point commun : tous ont été offerts à l’artiste dont la présence, j’allais dire la permanence, apparaît en creux.

Un avantage de ces installations est qu’elles sont à peu près désertes, car tout le monde vient pour voir l’exposition phare, consacrée au Blaue Reiter. On a ainsi l’occasion de se laisser imprégner par ces explorations d’identités différentielles sans être dérangé par les classes d’école qui passent en courant. Utile si on veut prendre le temps de méditer sur qui l’on est. On se rassure finalement en se disant que Roni Horn, dont l’exposition multiplie les facettes, a présidé elle-même à l’agencement de tout l’éventail. Elle le tient solidement.

N.B. J’ai aussi visité l’exposition du Blaue Reiter (excellente) et j’en ai ramené une gomme, en guise d’hommage à Robbe-Grillet.

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Invisible et impensable…

Pourquoi croire en Dieu sans preuve ? C’est la question à laquelle on m’a demandé de répondre aujourd’hui dans le cadre des GB Days à Lausanne (université, Amphimax 410, à 12h15).

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Le coin du geek

Les vacances sont l’occasion de prendre un peu de distance par rapport au quotidien. Je vous propose deux technologies qui me font rêver.

Sans rien toucher

La première est en train d’être mise au point chez Leap Motion : pilotez votre ordinateur par des commandes gestuelles, comme dans le film Minority Report. Un petit boîtier suffit pour que votre ordinateur (ou votre lampe de bureau, si vous voulez) vous obéisse au doigt et à l’œil. C’est assez troublant. Allez voir le film de démonstration sur le site de Leap Motion. Pour la vidéo de télécommande gestuelle de la lampe, c’est ici.

lampe

En touchant du bois

C’est beau, c’est naturel, c’est en bois. Vous pouvez choisir l’essence. Il s’agit du Groovboard, une planche avec des trous, des rainures et d’autres astuces, qui rend l’usage de l’iPad incroyablement plus agréable, à en juger par ce petit film :

img groovboard

Voilà, faites votre choix, et si vous ne savez pas quoi m’offrir à Noël.. Confidence : pour le Groovboard, ma préférence va à l’exécution en prunier.

Et merci à David Sparks de MacSparky, chez qui j’ai trouvé ces merveilles.

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L’adieu aux cigares

Pour fêter mon anniversaire à ma manière, j’ai décidé de m’offrir un très bon cigare, le premier depuis que j’ai arrêté d’en fumer, peu avant Noël, quand j’ai dû m’y résoudre par égard pour ma santé. Je me disais cependant que deux ou trois dans l’année porteraient moins à conséquence qu’un ou deux par jour, et je m’étais promis d’attendre mon anniversaire pour en reprendre un.

L’occasion réclamant de la qualité, j’ai acheté un Cohiba. Je l’ai allumé dans le garage, à l’abri des courants d’air. Un bel allumage, homogène, reconnaissable à la mince bague de cendre grise qui s’est dessinée. Puis je me suis installé sur la terrasse, avec un café et une grappa.

La douceur de la fumée m’a surpris. J’avais oublié que les cigares de bon diamètre sont plus moelleux que les autres. Presque une déception : j’aime le fort, le bien aromatique, le profond, mais je savais d’expérience qu’il suffisait d’attendre : après le foin vient le divin, disent les amateurs. Et après le divin, le purin du dernier tiers, sauf qu’il y a des trucs pour rattraper la situation et fumer le reste jusqu’à s’en brûler les doigts.

Autour de moi, la rumeur du vent dans les arbres, le chant de quelques oiseaux, les premières fleurs se balançant dans la brise, le soleil, déjà chaud pour la saison. Le cigare, bien construit, se consumait régulièrement, un vrai bonheur. La fumée gagnait en intensité. Que demander de plus ? Un beau moment à vivre, un moment rare. Je faisais des projets : l’an prochain, un autre, et ainsi de suite, pour marquer chaque nouvelle année. Il y aurait certainement d’autres occasions dans l’intervalle. La chaleur, la fumée et la grappa conjuguaient leurs effets pour mon plaisir. Pourtant, peu à peu, une autre idée se faisait jour : c’est mon dernier cigare, il n’y en aura plus d’autres.

Je l’ai tiré jusqu’au bout, sans regret. Quand je suis allé jeter le mégot et les cendres au compostier, j’ai respiré profondément, comme si la fumée avait réveillé des recoins de mes poumons dont je ne soupçonnais plus l’existence.

Les cigares m’ont souvent porté à des méditations – forcément fumeuses – sur la vie et la mort. Le cigare meurt après avoir livré ses arômes et sa charge de nicotine. C’était encore plus vrai de celui-ci, à cause du supplément d’irréversibilité que lui a donné ma décision mûrie au long des dernières bouffées : c’est le dernier, je dis adieu aux cigares.

Ramuz disait que c’est parce que tout doit mourir que tout est si beau. Mon dernier cigare s’est éteint après m’avoir offert un beau moment. Il a mis fin à la série de ses semblables. Je peux continuer de vivre sans eux.

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FSE17-3

Répondre aux grandes objections faites à la foi chrétienne

La pluralité des religions

C’est un fait. Il y a des religions sur toute la face de la terre, certaines plus importantes que d’autres. Christianisme, islam, judaïsme, hindouisme, bouddhisme si on le considère comme une religion, etc. Il y a des conflits entre ces religions, et des conflits entre les différents courants au sein d’une même religion. Il y a même des conflits au sein d’un courant particulier du christianisme. (Il doit y avoir de l’homme là-dedans.) Il y a des conversions d’une religion à l’autre. On médiatise davantage les conversions de chrétiens (de chrétiennes?) à l’islam que les autres. Il y a des mystiques dans toutes les grandes religions également.

Du coup, les athées et les agnostiques ont beau jeu de faire valoir cet argument. Pourquoi le christianisme plutôt que l’hindouisme, pourquoi ne pas se contenter, après tout, d’une spiritualité laïque qui garderait les valeurs qui se retrouvent dans les différents courants en éliminant ce qui génère des conflits ? Pourquoi pas le théisme ? Ou pourquoi ne pas simplement se conformer à la religion dominante de l’endroit où l’on vit ?

C’est qu’on ne croit pas à telle religion, mais, comme l’a écrit Pascal, au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, au père de Jésus-Christ, à un Dieu personnel avec qui on peut entrer en relation. Responsables et redevables de la révélation que nous avons reçue.

Bien entendu, affirmer qu’on a la « vraie religion » disqualifie aussitôt les autres. Croire qu’on détient la vérité rend orgueilleux et méprisant. Mais les religions sont (ou devraient être) en débat. Nous devons annoncer la bonne nouvelle : la recevra qui voudra, qui pourra, à condition de l’avoir entendue. Au Saint-Esprit de faire le travail de conviction intérieure chez la personne.

J’ignore comment les choses se passeront au jugement dernier. Je fais confiance à Dieu, dont je crois qu’il est juste. On verra bien. Aimons Dieu et notre prochain, et veillons sur nous-mêmes.

L’existence du mal

Il faudrait donc faire une théodicée, une justification de Dieu… Qui sommes-nous pour tenter une chose pareille ?

Tout le monde croit savoir spontanément ce que c’est que le mal, mais quelle définition au fait ? Poser la question ici revient à considérer le mal comme l’effet d’une volonté – ou d’un manque de volonté – de la part de Dieu.

Dans les croyances populaires, les grandes catastrophes naturelles (tsunamis, inondations, éruptions, tremblements de terre) frappent beaucoup quand elles surviennent à cause des grandes souffrances qu’elles engendrent, et beaucoup se demandent alors pourquoi le « bon Dieu » permet des choses pareilles. C’est une question difficile.

Les justifications philosophiques

En voici quelques-unes; jugez si elles sont convaincantes :

  • s’il n’y avait pas de mal, on ne saurait pas qu’il y a du bien : le mal comme une sorte de révélateur du bien
  • globalement, tout est bien, mais notre perception est trop partielle pour que nous puissions nous en rendre compte (Leibniz, voir sa satire dans le Candide de Voltaire)
  • le mal (comme le bien) en tant qu’il est extérieur à notre volonté, fait partie des choses qui ne dépendent pas de nous et sur lesquelles nous n’avons aucune prise (stoïciens); elles arrivent que nous le voulions ou non; il faut donc travailler sur nos représentations, sur l’idée que nous nous en faisons pour souffrir moins. Et donc ne pas se plaindre si on doit passer dans le taureau de Phalaris…
  • le mal provient d’un défaut de connaissance, car « nul n’est méchant volontairement » (Socrate); or il suffit de bien juger pour bien faire (Descartes)
  • dans une perspective dialectique, le mal est le négatif, l’antithèse qui doit être dépassée, et il constitue une partie du moteur de l’histoire et une condition du progrès.

Les justifications bibliques

Elles évidemment à saisir par la foi, mais ne sont pas plus faibles que les philosophiques.

  • Pour une part, l’existence du mal est une conséquence de la liberté humaine d’agir de manière autonome, c’est-à-dire en particulier de déterminer soi-même ce qu’est le bien et le mal. « Vous serez comme des dieux qui connaissent le bien et le mal » – le terme connaître est fort, puisqu’il s’applique aussi à une relation sexuelle. Il s’agit donc du péché.
  • Pour une autre part, la création entière soupire après la révélation des fils de Dieu. Prophétie d’Esaïe. Peut-être les catastrophes naturelles peuvent-elle prendre une place ici.

Et, oui, Dieu laisse faire, et ça peut aller très très loin.

Si on résume : le tsunami sur le Japon il y a deux ans serait imputable à la nature déchue (à cause de l’homme) et la catastrophe nucléaire davantage à l’homme directement.

Autre chose : le royaume de Dieu n’est pas de ce monde. Et je n’ai vu nulle part Jésus dénier à Satan son titre de prince de ce monde. C’est pourquoi nous qui y vivons devons nous considérer comme étrangers et voyageurs sur cette terre, ambassadeurs du Christ, tout en y étant sel (empêcher la corruption) et lumière dans ses ténèbres.

L’existence de Dieu (et d’un Dieu d’amour) n’est pas en contradiction avec l’existence du mal. La bénédiction du Seigneur ne signifie pas automatiquement que j’aurai une vie dans problèmes ni épreuves, ni la réalisation du royaume de Dieu dans ma propre vie. La foi qui nous est demandée, c’est la confiance et la fidélité, deux termes qui viennent du même mot fides. Et nous sommes prévenus que notre foi doit être éprouvée pour voir si elle tient le coup dans les mauvais jours.

Violence et fanatisme

NPO que jusqu’à la Réforme, notre histoire s’est confondue avec celle de l’église de Rome, qui était alors bien plus catholique et encore plus avant le schisme de 1054.

Reconnaître le fait que violence et fanatisme ont été effectivement liés à la religion au point de générer des guerres de religion entre chrétiens – et le déplorer.

Admettre que des scandales et des horreurs ont eu lieu sous le couvert de la religion (pédophilie, délits sexuels, abus spirituels, enrichissement par abus de faiblesse, etc.) – et le déplorer. Un chrétien n’en est pas moins un homme, et Pascal prévient que qui veut faire l’ange fait la bête. Tous les chrétiens sont des pécheurs, pardonnés certes, mais le pardon n’a pas de sens s’il n’y a pas péché préalable.

Remarquer cependant que très souvent, les princes ont utilisé le levier de la religion pour utiliser la ferveur des gens à des fins politiques (conquêtes, maintien au pouvoir, etc., ou pour avoir la paix – l’opium du peuple). Manoeuvre facilitée par le fait que la Biblie enseigne la soumission aux autorités.

Remarquer aussi que les horreurs les plus monstrueuses du XXe siècle ont été commises par des régimes hostiles au christianisme : nazisme, stalinisme, maoïsme et autres. Toute horreur n’est donc pas automatiquement imputable au christianisme, contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire.

Nous n’avons pas la vérité, mais nous sommes de la vérité et nous pouvons en témoigner.

C’est pour les faibles / c’est trop facile

C’est quand on est faible que les défenses tombent, que l’armure a des défauts et que l’orgueil cesse de rendre étanche à toute autre solution que la mienne. C’est pourquoi souvent c’est dans ces moments-là qu’on devient capable de se tourner vers Dieu et de recevoir quelque chose de lui.

Quand on lit l’histoire des héros de la foi, on n’a pas le sentiment que ce soient des faibles. Une fois qu’on a accepté le salut en Christ, la marche avec lui commence, et ce n’est pas forcément facile. On doit même remercier pour les épreuves…

Le christianisme est hostile à la vie

À quelle vie, au fait ? Il y a sans doute des formes de légalisme qui enferment les gens, mais c’est un problème qui peut être réglé par un enseignement adapté. Si c’est à la vie du fêtard, du viveur, de celui ou celle qui ne se fixe aucune limite dans ses aventures et ses débordements, sans doute oui. Mais cela, n’est-ce pas une caricature de la vie authentique ? N’est-ce pas la vie que mènent les personnes privées de toute espérance et dont la priorité est de collectionner les instants précieux et les conquêtes de toute sorte ? Même les sages de l’Antiquité n’avaient pas de mots assez forts pour stigmatiser ce genre de conduite.

Nous ferions mieux d’apprendre à résister à la manière habituelle et mondaine de comprendre la vie. D’essayer de comprendre les choses comme elles se présentent du point de vue de Dieu, de comprendre que la vie selon l’Esprit est bien plus riche que la vie selon la chair, même si le chemin qui y mène est bien plus étroit. Bref, tendre à donner davantage de place à la vie de Dieu en nous.

Si nous lâchons la sagesse de la connaissance pour nous intéresser à la vie dans sa réalité affective, éprouvée très concrètement, nous pouvons la découvrir comme quelque chose qui ne vient pas de nous, en quoi nous sommes, qui nous a engendrés, quelque chose qui manifeste Dieu. Laisser l’arbre de la connaissance qui fige et asservit et nous rapprocher de l’arbre de vie…

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Lien vers la conférence d’Alain de Botton sur l’athéisme 2.0

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FSE17-2

À la découverte de philosophes qui ont pensé en chrétiens

Blaise Pascal

Génie précoce, orgueil de la connaissance

La nuit du mémorial

Changement de vie : tout pour son engagement chrétien

Les Provinciales pour lutter contre le christianisme facile des Jésuites

Les Pensées et le pari pour toucher les libertins

Søren Kierkegaard

Une enfance particulière

La subjectivité est la vérité, contre le système

Les pseudonymes et la vérité

Les trois stades, c’est-à-dire trois attitudes, trois postures existentielles

L’Instant

Léon Chestov

Athènes et Jérusalem – la connaissance et la foi

Le taureau de Phalaris, le critère de la sagesse, forcément héroïque, et la sagesse suprême résumée dans cette phrase de Spinoza : Ne pas rire, ne pas se lamenter et encore moins maudire, mais comprendre…

Tous ne s’agenouillent pas devant la Nécessité :

  • Platon suggère qu’il existe autre chose que ce qui s’offre à l’observation dans l’expérience ordinaire
  • Socrate parlait de son daimon, de sa voix intérieure qui le conseillait (et la ciguë ne l’a pas fait taire)
  • Les amis de Job tiennent des discours éloquents, mais Job n’accepte pas ce que lui disent ces “consolateurs pénibles” – et Dieu lui donne raison
  • Abraham marchande avec l’Eternel pour éviter la destruction de Sodome et Gomorrhe
  • Gédéon réclame des signes pour s’assurer que c’est vraiment Dieu qui l’appelle à sauver le peuple

La nécessité et les lois, la vénération du fait nous transforme en pierres et en statues de sel

Les deux arbres en Eden comme critique de la connaissance bien plus radicale que celle de Kant.

Il faut tout oser.

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FSE 17-1

Le climat philosophique aujourd’hui

à partir de quelques philosophes (Luc Ferry, Michel Onfray et Gilles Lipovetsky)

Introduction

Pour commencer, quelques remarques générales à propos de la philosophie.

Philosophie ≠ pensée et pensée > philosophie, cette dernière étant grecque à l’origine, née dans les cités commerçantes où l’on expérimentait les premières formes de démocratie : en démocratie, on discute, et on discute mieux si on a de bons arguments.

La philosophie est apparue vers le VIe siècle avant J.-C. et s’est donnée pour tâche première de comprendre le monde, la vie, le destin de l’homme à l’aide d’un moyen que tout homme trouve en lui, plus ou moins cultivé et développé : la réflexion.

Rodin, le penseur

Et qu’est-ce qu’on se dit quand on se met à réfléchir ? On se rend compte qu’on est dans une situation vraiment particulière.

J’aime bien l’image du magicien qui sort un lapin de son chapeau. Qu’est-ce qu’elle nous dit ? Si nous sommes dans l’image, c’est comme une puce dans le pelage du lapin.

le lapin sort du chapeau du magicien
– qu’est-ce que ce monde dans lequel je me trouve?
– qu’est-ce que je fais ici ?
– qui suis-je exactement ?
– quel est le sens de mon existence ?
– comment vivre correctement ?

L’étonnement comme origine de la philosophie.

La philosophie se situe dès l’origine en dehors de la religion :

  • pour la comprendre > Hésiode mettant de l’ordre dans les récits mythologiques
  • pour la critiquer > Xénophane critique la religion populaire de son temps, pas assez respectueuse de la divinité parfaite. Les hommes ont fait les dieux à leur image :

Les Éthiopiens disent de leurs dieux qu’ils sont camus et noirs, les Thraces qu’ils ont les yeux bleus et les cheveux rouges.

Oui, si les bœufs et les chevaux et les lions avaient des mains et pouvaient, avec leurs mains, peindre et produire des œuvres comme les hommes, les chevaux peindraient des figures de dieux pareilles à des chevaux, et les bœufs pareilles à des bœufs, bref des images analogues à celles de toutes les espèces animales.

  • pour la refuser > Sophistes, par exemple Protagoras, l’auteur d’une citation célèbre :

L’homme est la mesure de toutes choses.

“Des dieux, je ne puis savoir ni s’ils sont ni s’ils ne sont pas, car bien des obstacles nous empêchent de le savoir, entre autres l’obscurité de la chose et la brièveté de la vie humaine”. C’est à cause de ce début de Discours qu’il faut chassé d’Athènes, et que ses livres furent brûlés sur la place publique, après que le héraut les eut réclamés à tous ceux qui les avaient achetés. (Diogène Laërce)

Protagoras serait donc à classer parmi les agnostiques.

Tout cela a au moins 2500 ans, mais il n’y a pas grand-chose de nouveau sous le soleil, sinon – chez plusieurs philosophes – une hostilité beaucoup plus forte envers la religion en général et le christianisme en particulier.

Bref, on peut voir la philosophie située en side-car ou en adversaire (mortel) de la religion, qu’elle peut chercher à supprimer et/ou à remplacer.

image side-car (herméneutique, apologétique); le chrétien est sur la Vespa, et le philosophe lui explique ce qu’il doit comprendre :-)
image adversaire

Les trois philosophes dont je vais parler sont trois adversaires. Avec trois attitudes différentes.

Luc Ferry

Né en 1951. Fils d’un préparateur automobile et d’une mère au foyer. A été professeur de philosophie et, du 7 mai 2002 au 30 mars 2004, ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche dans le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Il a succédé à ce poste à Jack Lang, et c’est François Fillon qui a pris sa place ensuite.
Très bon explicateur, pédagogue, surtout quand il parle.
Nombreuses vidéos de Luc Ferry sur Daily Motion.

Idée centrale : on n’a pas besoin du christianisme, parce que l’humanisme en a récupéré les bonnes choses et ne nous demande pas cette choses impossible : croire. La philosophie est une sotériologie, une doctrine du salut, parce qu’elle propose des réponses aux grandes questions existentielles.

On voit bien que c’est le fil conducteur de la pensée de Ferry, comme en témoignent les titres de ses livres :

images des couvertures l’une après l’autre

Ferry veut tout couvrir, il ambitionne à sa manière de remplir l’entier du cahier des charges du philosophe : la théorie (il a travaillé sur Kant), la morale et le salut. Autrement dit, répondre aux trois questions fondamentales :

  • que puis-je savoir ?
  • que dois-je faire ?
  • que m’est-il permis d’espérer ?

et cela dans une perspective fondamentalement humaniste. Attention, de même que la philosophie n’est pas toute la pensée, l’humanisme n’est pas toute la philosophie. Si l’humanisme désigne, dans la littérature chrétienne venue d’Amérique, toute philosophie hostile au christianisme, il faut savoir que notre usage du terme est différent dans le monde francophone, et qu’il existe des philosophie anti-humanistes bien plus hostiles à la foi chrétienne que ne l’est l’humanisme au sens de Luc Ferry.

Luc Ferry parle d’ailleurs très bien du christianisme. Il le connaît, et il est selon lui une doctrine extrêmement performante – sauf qu’il faut croire, et c’est là le problème. Or il est possible, pense-t-il, de fournir aux gens des réponses valables sans du tout leur demander croire, ce que d’ailleurs ils ne veulent plus.

La spiritualité laïque ne refuse pas une partie des valeurs proposées par le christianisme, elle les fait siennes en gommant leur dimension transcendante. Par exemple, les valeurs républicaines ont une origine chrétienne :

  • la liberté est une idée judéo-chrétienne; la vertu n’est pas, comme chez les Grecs, l’excellence de la nature de quelque chose ou de quelqu’un, elle consiste dans la possibilité d’utiliser ce dont on dispose pour faire le bien
  • l’égalité est également une idée nouvelle apportée par le christianisme, car Dieu ne fait pas de différences entre les personnes (Romains 2.12); c’est une des conditions de possibilité de la démocratie moderne : égalité des droits et des devoirs.
  • la fraternité, l’amour du prochain, car « vous êtes tous frères » (Mt 23.8)

Et quand on supprime la nécessité de croire, on ne renonce pas pour autant à la transcendance, mais elle est horizontale au lieu de verticale. Elle se définit par rapport à des valeurs universelles (par exemple celles que je viens de mentionner), qui nous dépassent et nous obligent, qui font que nous sommes des hommes, des personnes morales, et non des automates. Car nous sommes libres. La preuve : nous pouvons dire non à la nature, nous pouvons refuser des conduites qui nous apporteraient des satisfactions, par motif de consience.

Bref, la philosophie peut parfaitement remplacer la religion. Elle n’oblige pas à croire, mais invite à réfléchir, et elle est à même de proposer une sorte de spiritualité athée.

Michel Onfray

Né en 1959 d’un père ouvrier agricole et d’une mère femme de ménage, Michel Onfray est « pris en charge » de 10 ans à 14 ans dans un pensionnat catholique à Giel dans l’Orne qui fait office d’orphelinat et qu’il décrit comme un lieu de souffrance — « Je fus l’habitant de cette fournaise vicieuse ».

Personnage remuant, il a été professeur de lycée pendant 20 ans avant de fonder l’université populaire de Caen, où il s’est chargé de la chaire de philosophie hédoniste. Cette université est ouverte à tous mais ne délivre aucun diplôme. Le succès énorme de son Traité d’athéologie pourrait faire croire que c’est le point le plus important de sa pensée, mais ça n’est qu’une partie de trois éléments : l’hédonisme, l’athéisme et le matérialisme. Il a écrit une cinquantaine d’ouvrages.

À l’origine de sa pensée, une expérience forte, un « hapax existentiel » : à 28 ans, un an après sa thèse, il a failli mourir d’un infarctus. Dans la douleur qu’il éprouve, il réalise qu’il n’y a pas de différence entre l’âme et le corps, et c’est de cette expérience va se développer ensuite en hédonisme. C’est chez lui l’équivalent de ce que serait une expérience de conversion chez un chrétien.

Il est un athée beaucoup plus résolu et militant que Luc Ferry, qu’il considère comme un « athée chrétien ». Non, tout ce qui vient du christianisme est bon à jeter, et pareil pour ce qui vient du judaïsme et de l’islam. Toutes les religions proclament l’existence d’ « arrière-mondes » qui sont des inventions destinées à asservir les hommes, à les contraindre à vivre dans la crainte, dans le respect des autorités, et le déni du corps. Fidèle suiveur de Nietzsche, il veut démolir toutes les idoles, toutes les croyances, proclamer que Dieu est mort et qu’il est temps de vivre autrement.

Dans le même ordre d’idées, il convient de critiquer aussi toutes les philosophies qui, d’une manière ou d’une autre, reprennent des thèmes religieux, proposent des morales autoritaires ou considèrent que le corps et la matière sont vils ou mauvais. À quoi bon se débarrasser de la religion si c’est pour retrouver la même morale hostile à la vie, qui brime le corps, enrégimente la sexualité, fait obstacle au plaisir et à la jouissance ? Lui est disciple des matérialistes de l’Antiquité, des sophistes, de Diogène le Cynique et des hédonistes comme Aristippe de Cyrène. Et chez les modernes, de Nietzsche, de Freud pour certains aspects (il a écrit un gros livre pour le critiquer sévèrement aussi) et de tout le courant libertin aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Son athéisme est lié à son matérialisme. Il faut « conjurer toute transcendance » et pour cela refuser de prendre en compte l’idée que la matière et le monde n’épuisent pas toute la réalité. Il n’y a rien de plus . Il n’existe rien d’autre que la matière, qui s’est organisée, qui a produit la vie, qui a évolué pour donner ce que nous connaissons, nous animaux un peu plus malins que les autres, mais souvent pour notre tourment, surtout si nous nous mettons à croire aux fables enseignées par les religions.

La croyance est donc une pathologie mentale qui produit des épidémies (les religions). Toutes les religions monothéistes carburent à la pulsion de mort et détestent l’intelligence, qui pourrait déjouer leurs pièges. Par rapport à cela, l’athéisme, c’est la santé. Les croyants sont à considérer comme des aliénés mentaux.

«Les convictions sont des ennemies de la vérité plus dangereuses que les mensonges.»

>Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain (en exergue au blog de Michel Onfray)

Quand la santé aura été recouvrée, il sera possible de déformater le corps et la chair et de réaliser que le bien consiste dans les plaisirs. Il sera aussi possible de repenser le droit, qui repose en fait sur des présupposés chrétiens, en particulier la présomption que tout individu agit toujours librement, de son plein gré, en étant toujours informé des conséquences de ses actions. Mais cela passe par la démolition de tous les monothéismes et de toutes les théocraties.

Le Traité d’athéologie a été un grand succès de librairie et il a été traduit dans plusieurs langues. Il fait partie de la bibliothèque contemporaine du parfait athée.

> image du présentoir à livres en Australie.

Pour la critique de Onfray, on peut lire les pages 75—77 de la SAG :

  • confusion du christianisme et du catholicisme
  • malhonnêté intellectuelle (voir la citation de Nietzsche…)
  • tous les crimes de et contre l’humanité sont imputables à la religion. Quid du nazisme et du stalinisme, du Cambodge etc. ?
  • non, Hitler n’était pas chrétien et le nazisme n’est pas un avatar du monothéisme
  • non, le christianisme n’est pas réductible aux clichés freudiens et nietzschéens
  • non, le christianisme n’est pas complice de l’esclavage.

Gilles Lipovetsky

Des trois, le moins philosophe et le plus sociologue. Il est né en 1944. Professeur de français, agrégé de philosophie.

L’ère du vide : la société post-moderne

Son livre le plus célèbre est

L’ère du vide (1983)

Avant la société post-moderne, il y a eu la société moderne et avant encore des sociétés plus traditionnelles, marquées par

  • la hiérarchie du sang
  • la souveraineté sacrée
  • les traditions
  • les particularismes

Image montrant les concepts clés qui remplissaient la société moderne et qui disparaissent, laissant le vide :

  • l’universel
  • la raison
  • la révolution
  • et encore : discipline, laïcité, avant-garde, croyance dans l’avenir, confiance dans le progrès, la science et la technique
  • idéaux, idéologies, croyances

C’est vrai pour nos temps post-modernes, caractérisés par

  • le triomphe de l’individualisme
  • l’ajustement des intérêts à la personne privée
  • l’hédonisme
  • l’attitude cool
  • la consommation décomplexée des marchandises et des services

Bref, pour bien comprendre notre situation, il ne faut pas se méprendre sur l’époque dans laquelle nous vivons.

C’est la réalité de l’avènement du dernier homme de Nietzsche. Le besoin de sens ne fait même plus problème. Désormais, chacun fait ce qui lui plaît.

Dieu est mort, les grandes finalités s’éteignent, mais tout le monde s’en fout, voilà la joyeuse nouvelle…

Même le nihilisme «incomplet» avec ses ersatz d’idéaux laïques a fait son temps et notre boulimie de sensations, de sexe, de plaisir ne cache rien, ne compense rien, surtout pas l’abîme de sens ouvert par la mort de Dieu. L’indifférence, pas la détresse métaphysique.

Au fond, il n’y a guère que les hypocrites pour se désoler d’une situation dont chacun tire bénéfice et à laquelle personne ne voudrait renoncer. Mais il y a tout de même un certain nombre de problèmes.

  • Dans cette société où plus rien n’est sacré se multiplient des actes de violence gratuits, un vandalisme destructeur
  • Les valeurs en déshérence ne sont pas que religieuses, politiques ou morales : même les choses ont perdu la leur (effet de mode, obsolescence programmée…)

La société d’hyperconsommation

L’homo sapiens a fait place à l’homo consomericus.

Le marché est devenu, bien au-delà des transactions économiques, le modèle et l’imaginaire régisssant lensemble des rappports sociaux.

Paradoxe : 90% des Européens se déclarent heureux ou très heureux… mais tout le monde se plaint. La courbe de progression du bonheur prend du retard sur celle de la consommation.

La marchandisation a des limites et la société d’hyperconsommation est incapable de tenir ses promesses de bonheur total. Car un individu ne se définit pas par rapport à la consommation, mais d’abord par rapport aux autres et à soi.

Nous voilà renvoyés à des questions philosophiques fondamentales : le rapport à soi, le rapport émotionnel à l’autre.

Cinq figures mythiques pour éclairer notre société :

  • Pénia, la pauvreté : l’opulence des biens produit en réalité la misère des personnes
  • Dionysos, le paroxysme, l’ivresse et le délire : des conquêtes acquises sur Apollon, trop prudent, raisonnable, calculateur, trop sage
  • Superman, héros d’un puritanisme qui ne veut pas dire son nom, et qui exalte la performance, la réussite, l’action l’excellence, la compétition, contre le paisir des sens et l’amollissement dans la jouissance
  • Némésis, la vengeresse, qui prive les mortels du bonheur auquel ils ont tant travaillé et inspire les médisances et les méchancetés dont nous sommes capables devant la réussite des autres
  • Narcisse, la complaisance envers soi, le culte du corps, le soin de sa propre personne, contre les injonctions que voudraient nous imposer les valeurs du droit, de la politique et de la science
[SAG] Comment ne pas être frappé par l’emprise totale de cette société sur les hommes et les femmes qui y vivent? Elle englobe tous les aspects de nos vies, de la naissance à la mort. Elle veut offrir le pain, le travail et les jeux et plus encore: la vie, le mouvement et l’être. Elle nous assigne une place et un rôle; elle peut tout, grâce aux marchandises et aux services; elle sait tout, grâce aux cartes de fidélité, aux caméras de surveillance et au relevé de toutes les traces que laissent nos activités, nos téléphones mobiles, nos navigations sur Internet, nos GPS et nos cartes de crédit; elle nous accable de ses conseils, de ses impératifs et de sa morale via la publicité et les médias. Ersatz impersonnel de Dieu, sorte de grand processus dans lequel tout le monde est embarqué sans que personne ne puisse décider quoi que ce soit de déterminant pour en infléchir le cours, cette société est aussi un Moloch qui broie ceux et celles qui ne parviennent pas à se maintenir à la hauteur de ses exigences et les rejette dans les ténèbres extérieures. Hors d’elle, pas de salut.

Pas étonnant que les zones d’ombre qui échappent aux lumières de la société d’hyperconsommation soient nombreuses. On a déjà mentionné la multiplication des actes violents et du vandalisme. Il y a des symptômes moins visibles: la dépression, l’insomnie, le découragement, les addictions de toute sorte, l’épuisement professionnel, quand ce ne sont pas le chômage, la maladie non prise en charge par les systèmes de santé, la mise à l’écart des vieux. Pourquoi tant de suicides chez les jeunes, pourquoi tant de conduites à risque et d’expériences extrêmes, comme pour jouer à la roulette russe? Le système se lézarde, le climat se réchauffe, les ressources naturelles s’épuisent, la finance est devenue un casino planétaire et l’économie va mal. Le pseudo-paradis décrit par Lipovetsky dans L’ère du vide ne pouvait pas durer, et nul ne sait ce qui lui succédera.

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Une pomme qui tombait bien

Back to blogging 4/10

Après les agendas papier, je suis passé au tout électronique en 1997 en achetant un Newton 2100, le dernier modèle de la gamme, last and least. Quelques mois plus tard, Apple décidait d’en arrêter la fabrication et le support, alors que ce merveilleux appareil était enfin parvenu à maturité.

Un vrai bonheur, une fois digéré le prix d’achat (il était horriblement cher). Reconnaissance de l’écriture manuelle, écran confortable par sa taille, intégration parfaite de l’agenda, du carnet d’adresses , des notes et de la liste des tâches, de très bonnes applications tierces, traitement de texte et tableur corrects. Il communiquait avec les téléphones et imprimantes au moyen de câbles, et ça fonctionnait. La gestion des mails était bonne, la navigation sur le web était possible, mais primitive. Son écran noir et blanc (gris foncé sur gris clair, disons) gérait mal les images. Le Newton ne lisait pas les MP3 et se contentait de jeux simples (échecs, backgammon, etc.). Mais on n’en demandait pas tant en 1997. Personne ne savait ce que WiFi veut dire, et les ports USB étaient encore à venir. Mais il y avait deux logements pour des cartes dont j’ai oublié le nom, ajoutant des fonctions ou de la mémoire.

J’ai beaucoup travaillé avec cette machine. Je l’ai ressortie hier de son tiroir pour essayer de la remettre en route. J’ai introduit quatre piles neuves et c’est reparti, j’ai retrouvé mes fichiers, mes notes de l’époque. En revanche, quand j’ai voulu régler la date et l’heure, je suis tombé sur une impossibilité : un bug du système d’exploitation fait que la machine cale au-delà du 5 janvier 2010 à 18:48:31. Il y a des patches de correction que je n’ai pas eu le temps d’appliquer, car pour cela il faut aussi remettre en route un vieux mac doté des ports capables de communiquer avec le Newton. Ce sera pour une autre fois peut-être.

La nostalgie du Newton ne touche pas que moi. Le site United Network of Newton Archive (unna.org) continue d’être maintenu par quelques passionnés, et on trouve des émulateurs Newton pour divers systèmes d’exploitation.

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La clarté des principes

Ce matin, j’ai entendu un juriste s’exprimer clairement. La discussion portait sur la récente ordonnance du Conseil fédéral fixant au 1er janvier 2013 l’entrée en vigueur de l’article constitutionnel sur les résidences secondaires.

L’invité du Journal du matin de La Première, l’avocat Michel Rossinelli, a rappelé quelques principes. L’ordre juridique est hiérarchisé, en ce sens que la Constitution prime sur les lois, et les lois sur les ordonnances. Pas question donc que le Conseil fédéral puisse, par une ordonnance, modifier une disposition constitutionnelle. C’est une « totale illusion juridique » car une telle décision politique « pragmatique », prise sous la pression, conduira à beaucoup de désillusions, la situation étant tout à fait claire en cas de recours. En effet, le Code civil définit ce qu’est une résidence secondaire et l’annexe de l’ordonnance fixe la liste des communes comptant plus de 20% de résidences secondaires. Il ne sera pas difficile à un juge de trancher en rappelant que l’article constitutionnel prime sur l’ordonnance.

Quel bienfait d’entendre un juriste rappeler clairement qu’il faut respecter la constitution. Cela dit, j’imagine que d’autres juristes signaleront que l’article constitutionnel prévoit des dispositions transitoires (article 197, chiffre 8) stipulant que « les permis de construire des résidences secondaires qui auront été délivrés entre le 1er janvier de l’année qui suivra l’acceptation de l’art. 75a par le peuple et les cantons et la date d’entrée en vigueur de ses dispositions d’exécution seront nuls« . Le champ serait-il libre jusqu’au 31 décembre de cette année, alors même que l’article 75b, lui, est entré en vigueur le 11 mars dernier ? On notera de surcroît le flou dans la numérotation des articles: l’initiative parle de l’art. 75a alors que, dans la Constitution fédérale, c’est l’article 75b… Bonjour la clarté.

Les initiants sont donc responsables de ces incertitudes, mais le Conseil fédéral et les Chambres n’ont pas toujours montré un respect sans borne de la volonté populaire. Je me souviens d’avoir voté sur un référendum à propos de l’introduction de l’heure d’été. Le 28 mai 1978, le peuple et les cantons ont refusé, à une majorité de 52,1%, de donner au Conseil fédéral la compétence d’introduire l’heure d’été. Les paysans avaient convaincu la population que le respect du sommeil des vaches l’emportait sur d’hypothétiques économies d’énergie. Qu’importe ? Deux ans plus tard, l’affaire était entendue et l’heure d’été introduite à partir de 1981, le Parlement ayant conclu que c’était devenu nécessaire, puisque l’Allemagne et l’Autriche l’avaient introduite entre-temps. Mais on n’a pas jugé utile d’inviter le peuple à se prononcer à nouveau.

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Jardin des contes

De retour d’un beau moment à Bienne: une heure avec Ariane Racine, conteuse, qui a déployé ses histoires du Décaméron dans le jardin de la villa Elfenau. On y accède par un petit pont à partir de la Promenade de la Suze. Quelques chaises disposées entre la maison et un étang où plongent des canards. Un paon se promène, dédaigneux, non loin de là. La rumeur de la ville est proche, on entend les trains passer. Une heure d’histoires pendant que, lentement, la nuit vient prendre possession des lieux. Un jardin aux arbres immenses, aux buissons entre lesquels des sentiers se faufilent. Une quinzaine de privilégiés ont choisi de venir écouter Ariane, accueillis par Eric et Albane, qui offre à chacun un verre de Marsala rafraîchi dans de l’eau de source.
«Cela se passe dans les collines de Toscane, en été, à l’aube de la Renaissance, alors que la peste sévit en ville et partout», dit Ariane. Cela se passe très bien aussi un 11 mai à Bienne dans le jardin de la villa Elfenau, alors que d’autres pestes continuent de sévir un peu partout. Une soirée estivale honorée par les oiseaux et un chat qui, lui aussi, est venu écouter les contes, lové sur une chaise au premier rang.