Je relis les épreuves de mon roman à paraître ce printemps. J’en suis à la relecture au plumeau, pour reprendre une des belles métaphores utilisées par Jean Guenot dans son excellent Écrire, Guide pratique de l’écrivain, éditions Guenot, Saint-Cloud, 1998. La relecture au plumeau intervient après la relecture au sabre, à l’issue du premier jet, elle-même suivie de la relecture à la colle.
C’est le moment de vérifier la grammaire, de traquer les répétitions, de corriger les coquilles sur les épreuves où le texte est déjà mis en page. Je redécouvre un texte que je n’ai plus relu depuis six mois. Quand la lecture cesse d’être fluide, c’est qu’il y a un souci. Alors j’élague, je biffe, je change une expression, je pars à la recherche d’un synonyme que je trouve souvent sur le site du CRISCO. Je réaménage les passages où la lecture est entravée, je fais la chasse aux scories, je retire le caillou dans la chaussure, je m’efforce de parvenir à la formulation la meilleure possible, celle dont je me demande pourquoi je ne l’ai pas trouvée du premier coup. Cela dit, je sais bien que lorsque j’ouvrirai mon livre au hasard, juste après avoir reçu le premier exemplaire, je tomberai une coquille oubliée en me demandant comment j’ai pu ne pas la voir.
Pour en revenir au style, à l’écriture, ce que j’aimerais entendre, c’est un trot de cheval page sur une cour pavée, selon une autre image de Guenot.
Le maître écrivain est un maître menteur. Il forge, il ajuste, il façonne; il découd pour recoudre des bouts de mensonge car il sait bien qu’il n’a pas d’autre moyen de dire la vérité (…) D’autant qu’elle ne se fait pas en soufflant dessus, la pénétrante musique du mensonge. On part de petites vérités. C’est piètre. Mentir s’apprend. Écrire aussi. Tous les humains sont des menteurs puisqu’ils ont recours au langage. Fort peu sont des écrivains. On va passer dix heures sur six feuillets de texte, les donner à lire. En moins de quatre secondes, tout lecteur un peu entraîné sait si vous avez ou non la cadence. L’écrivain se reconnaît sur la page comme un trot de cheval sur une cour pavée. Même loin, menu, intermittent. Même à travers une ou deux épaisseurs de sommeil. (…)
Jean Guenot, Écrire, Guide pratique de l’écrivain, avec des exercices, Éditions Guenot, Saint-Cloud, 1998, pp. 23-24
Écrire est un artisanat si mal payé qu’on ne peut continuer à l’exercer que par vanité d’auteur. Il y faut tant d’efforts, d’échecs, d’acharnement qu’on ose à peine dire le temps passé. Pourtant, dès que le texte paraît, écrire devient une activité reluisante. Dans la hiérarchie morale des métiers du livre, l’auteur vient tout en haut. On le punit de ce prestige en le payant en monnaie de singe. Puisqu’il tire des auréoles de ce qu’il écrit, la contrepartie tout à fait naturelle c’est de ne pas lui permettre d’en vivre.