Jean François Jobin

Auteur/autrice : Jean François Jobin (page 15 of 18)

FSE 17-1

Le climat philosophique aujourd’hui

à partir de quelques philosophes (Luc Ferry, Michel Onfray et Gilles Lipovetsky)

Introduction

Pour commencer, quelques remarques générales à propos de la philosophie.

Philosophie ≠ pensée et pensée > philosophie, cette dernière étant grecque à l’origine, née dans les cités commerçantes où l’on expérimentait les premières formes de démocratie : en démocratie, on discute, et on discute mieux si on a de bons arguments.

La philosophie est apparue vers le VIe siècle avant J.-C. et s’est donnée pour tâche première de comprendre le monde, la vie, le destin de l’homme à l’aide d’un moyen que tout homme trouve en lui, plus ou moins cultivé et développé : la réflexion.

Rodin, le penseur

Et qu’est-ce qu’on se dit quand on se met à réfléchir ? On se rend compte qu’on est dans une situation vraiment particulière.

J’aime bien l’image du magicien qui sort un lapin de son chapeau. Qu’est-ce qu’elle nous dit ? Si nous sommes dans l’image, c’est comme une puce dans le pelage du lapin.

le lapin sort du chapeau du magicien
– qu’est-ce que ce monde dans lequel je me trouve?
– qu’est-ce que je fais ici ?
– qui suis-je exactement ?
– quel est le sens de mon existence ?
– comment vivre correctement ?

L’étonnement comme origine de la philosophie.

La philosophie se situe dès l’origine en dehors de la religion :

  • pour la comprendre > Hésiode mettant de l’ordre dans les récits mythologiques
  • pour la critiquer > Xénophane critique la religion populaire de son temps, pas assez respectueuse de la divinité parfaite. Les hommes ont fait les dieux à leur image :

Les Éthiopiens disent de leurs dieux qu’ils sont camus et noirs, les Thraces qu’ils ont les yeux bleus et les cheveux rouges.

Oui, si les bœufs et les chevaux et les lions avaient des mains et pouvaient, avec leurs mains, peindre et produire des œuvres comme les hommes, les chevaux peindraient des figures de dieux pareilles à des chevaux, et les bœufs pareilles à des bœufs, bref des images analogues à celles de toutes les espèces animales.

  • pour la refuser > Sophistes, par exemple Protagoras, l’auteur d’une citation célèbre :

L’homme est la mesure de toutes choses.

“Des dieux, je ne puis savoir ni s’ils sont ni s’ils ne sont pas, car bien des obstacles nous empêchent de le savoir, entre autres l’obscurité de la chose et la brièveté de la vie humaine”. C’est à cause de ce début de Discours qu’il faut chassé d’Athènes, et que ses livres furent brûlés sur la place publique, après que le héraut les eut réclamés à tous ceux qui les avaient achetés. (Diogène Laërce)

Protagoras serait donc à classer parmi les agnostiques.

Tout cela a au moins 2500 ans, mais il n’y a pas grand-chose de nouveau sous le soleil, sinon – chez plusieurs philosophes – une hostilité beaucoup plus forte envers la religion en général et le christianisme en particulier.

Bref, on peut voir la philosophie située en side-car ou en adversaire (mortel) de la religion, qu’elle peut chercher à supprimer et/ou à remplacer.

image side-car (herméneutique, apologétique); le chrétien est sur la Vespa, et le philosophe lui explique ce qu’il doit comprendre :-)
image adversaire

Les trois philosophes dont je vais parler sont trois adversaires. Avec trois attitudes différentes.

Luc Ferry

Né en 1951. Fils d’un préparateur automobile et d’une mère au foyer. A été professeur de philosophie et, du 7 mai 2002 au 30 mars 2004, ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche dans le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Il a succédé à ce poste à Jack Lang, et c’est François Fillon qui a pris sa place ensuite.
Très bon explicateur, pédagogue, surtout quand il parle.
Nombreuses vidéos de Luc Ferry sur Daily Motion.

Idée centrale : on n’a pas besoin du christianisme, parce que l’humanisme en a récupéré les bonnes choses et ne nous demande pas cette choses impossible : croire. La philosophie est une sotériologie, une doctrine du salut, parce qu’elle propose des réponses aux grandes questions existentielles.

On voit bien que c’est le fil conducteur de la pensée de Ferry, comme en témoignent les titres de ses livres :

images des couvertures l’une après l’autre

Ferry veut tout couvrir, il ambitionne à sa manière de remplir l’entier du cahier des charges du philosophe : la théorie (il a travaillé sur Kant), la morale et le salut. Autrement dit, répondre aux trois questions fondamentales :

  • que puis-je savoir ?
  • que dois-je faire ?
  • que m’est-il permis d’espérer ?

et cela dans une perspective fondamentalement humaniste. Attention, de même que la philosophie n’est pas toute la pensée, l’humanisme n’est pas toute la philosophie. Si l’humanisme désigne, dans la littérature chrétienne venue d’Amérique, toute philosophie hostile au christianisme, il faut savoir que notre usage du terme est différent dans le monde francophone, et qu’il existe des philosophie anti-humanistes bien plus hostiles à la foi chrétienne que ne l’est l’humanisme au sens de Luc Ferry.

Luc Ferry parle d’ailleurs très bien du christianisme. Il le connaît, et il est selon lui une doctrine extrêmement performante – sauf qu’il faut croire, et c’est là le problème. Or il est possible, pense-t-il, de fournir aux gens des réponses valables sans du tout leur demander croire, ce que d’ailleurs ils ne veulent plus.

La spiritualité laïque ne refuse pas une partie des valeurs proposées par le christianisme, elle les fait siennes en gommant leur dimension transcendante. Par exemple, les valeurs républicaines ont une origine chrétienne :

  • la liberté est une idée judéo-chrétienne; la vertu n’est pas, comme chez les Grecs, l’excellence de la nature de quelque chose ou de quelqu’un, elle consiste dans la possibilité d’utiliser ce dont on dispose pour faire le bien
  • l’égalité est également une idée nouvelle apportée par le christianisme, car Dieu ne fait pas de différences entre les personnes (Romains 2.12); c’est une des conditions de possibilité de la démocratie moderne : égalité des droits et des devoirs.
  • la fraternité, l’amour du prochain, car « vous êtes tous frères » (Mt 23.8)

Et quand on supprime la nécessité de croire, on ne renonce pas pour autant à la transcendance, mais elle est horizontale au lieu de verticale. Elle se définit par rapport à des valeurs universelles (par exemple celles que je viens de mentionner), qui nous dépassent et nous obligent, qui font que nous sommes des hommes, des personnes morales, et non des automates. Car nous sommes libres. La preuve : nous pouvons dire non à la nature, nous pouvons refuser des conduites qui nous apporteraient des satisfactions, par motif de consience.

Bref, la philosophie peut parfaitement remplacer la religion. Elle n’oblige pas à croire, mais invite à réfléchir, et elle est à même de proposer une sorte de spiritualité athée.

Michel Onfray

Né en 1959 d’un père ouvrier agricole et d’une mère femme de ménage, Michel Onfray est « pris en charge » de 10 ans à 14 ans dans un pensionnat catholique à Giel dans l’Orne qui fait office d’orphelinat et qu’il décrit comme un lieu de souffrance — « Je fus l’habitant de cette fournaise vicieuse ».

Personnage remuant, il a été professeur de lycée pendant 20 ans avant de fonder l’université populaire de Caen, où il s’est chargé de la chaire de philosophie hédoniste. Cette université est ouverte à tous mais ne délivre aucun diplôme. Le succès énorme de son Traité d’athéologie pourrait faire croire que c’est le point le plus important de sa pensée, mais ça n’est qu’une partie de trois éléments : l’hédonisme, l’athéisme et le matérialisme. Il a écrit une cinquantaine d’ouvrages.

À l’origine de sa pensée, une expérience forte, un « hapax existentiel » : à 28 ans, un an après sa thèse, il a failli mourir d’un infarctus. Dans la douleur qu’il éprouve, il réalise qu’il n’y a pas de différence entre l’âme et le corps, et c’est de cette expérience va se développer ensuite en hédonisme. C’est chez lui l’équivalent de ce que serait une expérience de conversion chez un chrétien.

Il est un athée beaucoup plus résolu et militant que Luc Ferry, qu’il considère comme un « athée chrétien ». Non, tout ce qui vient du christianisme est bon à jeter, et pareil pour ce qui vient du judaïsme et de l’islam. Toutes les religions proclament l’existence d’ « arrière-mondes » qui sont des inventions destinées à asservir les hommes, à les contraindre à vivre dans la crainte, dans le respect des autorités, et le déni du corps. Fidèle suiveur de Nietzsche, il veut démolir toutes les idoles, toutes les croyances, proclamer que Dieu est mort et qu’il est temps de vivre autrement.

Dans le même ordre d’idées, il convient de critiquer aussi toutes les philosophies qui, d’une manière ou d’une autre, reprennent des thèmes religieux, proposent des morales autoritaires ou considèrent que le corps et la matière sont vils ou mauvais. À quoi bon se débarrasser de la religion si c’est pour retrouver la même morale hostile à la vie, qui brime le corps, enrégimente la sexualité, fait obstacle au plaisir et à la jouissance ? Lui est disciple des matérialistes de l’Antiquité, des sophistes, de Diogène le Cynique et des hédonistes comme Aristippe de Cyrène. Et chez les modernes, de Nietzsche, de Freud pour certains aspects (il a écrit un gros livre pour le critiquer sévèrement aussi) et de tout le courant libertin aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Son athéisme est lié à son matérialisme. Il faut « conjurer toute transcendance » et pour cela refuser de prendre en compte l’idée que la matière et le monde n’épuisent pas toute la réalité. Il n’y a rien de plus . Il n’existe rien d’autre que la matière, qui s’est organisée, qui a produit la vie, qui a évolué pour donner ce que nous connaissons, nous animaux un peu plus malins que les autres, mais souvent pour notre tourment, surtout si nous nous mettons à croire aux fables enseignées par les religions.

La croyance est donc une pathologie mentale qui produit des épidémies (les religions). Toutes les religions monothéistes carburent à la pulsion de mort et détestent l’intelligence, qui pourrait déjouer leurs pièges. Par rapport à cela, l’athéisme, c’est la santé. Les croyants sont à considérer comme des aliénés mentaux.

«Les convictions sont des ennemies de la vérité plus dangereuses que les mensonges.»

>Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain (en exergue au blog de Michel Onfray)

Quand la santé aura été recouvrée, il sera possible de déformater le corps et la chair et de réaliser que le bien consiste dans les plaisirs. Il sera aussi possible de repenser le droit, qui repose en fait sur des présupposés chrétiens, en particulier la présomption que tout individu agit toujours librement, de son plein gré, en étant toujours informé des conséquences de ses actions. Mais cela passe par la démolition de tous les monothéismes et de toutes les théocraties.

Le Traité d’athéologie a été un grand succès de librairie et il a été traduit dans plusieurs langues. Il fait partie de la bibliothèque contemporaine du parfait athée.

> image du présentoir à livres en Australie.

Pour la critique de Onfray, on peut lire les pages 75—77 de la SAG :

  • confusion du christianisme et du catholicisme
  • malhonnêté intellectuelle (voir la citation de Nietzsche…)
  • tous les crimes de et contre l’humanité sont imputables à la religion. Quid du nazisme et du stalinisme, du Cambodge etc. ?
  • non, Hitler n’était pas chrétien et le nazisme n’est pas un avatar du monothéisme
  • non, le christianisme n’est pas réductible aux clichés freudiens et nietzschéens
  • non, le christianisme n’est pas complice de l’esclavage.

Gilles Lipovetsky

Des trois, le moins philosophe et le plus sociologue. Il est né en 1944. Professeur de français, agrégé de philosophie.

L’ère du vide : la société post-moderne

Son livre le plus célèbre est

L’ère du vide (1983)

Avant la société post-moderne, il y a eu la société moderne et avant encore des sociétés plus traditionnelles, marquées par

  • la hiérarchie du sang
  • la souveraineté sacrée
  • les traditions
  • les particularismes

Image montrant les concepts clés qui remplissaient la société moderne et qui disparaissent, laissant le vide :

  • l’universel
  • la raison
  • la révolution
  • et encore : discipline, laïcité, avant-garde, croyance dans l’avenir, confiance dans le progrès, la science et la technique
  • idéaux, idéologies, croyances

C’est vrai pour nos temps post-modernes, caractérisés par

  • le triomphe de l’individualisme
  • l’ajustement des intérêts à la personne privée
  • l’hédonisme
  • l’attitude cool
  • la consommation décomplexée des marchandises et des services

Bref, pour bien comprendre notre situation, il ne faut pas se méprendre sur l’époque dans laquelle nous vivons.

C’est la réalité de l’avènement du dernier homme de Nietzsche. Le besoin de sens ne fait même plus problème. Désormais, chacun fait ce qui lui plaît.

Dieu est mort, les grandes finalités s’éteignent, mais tout le monde s’en fout, voilà la joyeuse nouvelle…

Même le nihilisme «incomplet» avec ses ersatz d’idéaux laïques a fait son temps et notre boulimie de sensations, de sexe, de plaisir ne cache rien, ne compense rien, surtout pas l’abîme de sens ouvert par la mort de Dieu. L’indifférence, pas la détresse métaphysique.

Au fond, il n’y a guère que les hypocrites pour se désoler d’une situation dont chacun tire bénéfice et à laquelle personne ne voudrait renoncer. Mais il y a tout de même un certain nombre de problèmes.

  • Dans cette société où plus rien n’est sacré se multiplient des actes de violence gratuits, un vandalisme destructeur
  • Les valeurs en déshérence ne sont pas que religieuses, politiques ou morales : même les choses ont perdu la leur (effet de mode, obsolescence programmée…)

La société d’hyperconsommation

L’homo sapiens a fait place à l’homo consomericus.

Le marché est devenu, bien au-delà des transactions économiques, le modèle et l’imaginaire régisssant lensemble des rappports sociaux.

Paradoxe : 90% des Européens se déclarent heureux ou très heureux… mais tout le monde se plaint. La courbe de progression du bonheur prend du retard sur celle de la consommation.

La marchandisation a des limites et la société d’hyperconsommation est incapable de tenir ses promesses de bonheur total. Car un individu ne se définit pas par rapport à la consommation, mais d’abord par rapport aux autres et à soi.

Nous voilà renvoyés à des questions philosophiques fondamentales : le rapport à soi, le rapport émotionnel à l’autre.

Cinq figures mythiques pour éclairer notre société :

  • Pénia, la pauvreté : l’opulence des biens produit en réalité la misère des personnes
  • Dionysos, le paroxysme, l’ivresse et le délire : des conquêtes acquises sur Apollon, trop prudent, raisonnable, calculateur, trop sage
  • Superman, héros d’un puritanisme qui ne veut pas dire son nom, et qui exalte la performance, la réussite, l’action l’excellence, la compétition, contre le paisir des sens et l’amollissement dans la jouissance
  • Némésis, la vengeresse, qui prive les mortels du bonheur auquel ils ont tant travaillé et inspire les médisances et les méchancetés dont nous sommes capables devant la réussite des autres
  • Narcisse, la complaisance envers soi, le culte du corps, le soin de sa propre personne, contre les injonctions que voudraient nous imposer les valeurs du droit, de la politique et de la science
[SAG] Comment ne pas être frappé par l’emprise totale de cette société sur les hommes et les femmes qui y vivent? Elle englobe tous les aspects de nos vies, de la naissance à la mort. Elle veut offrir le pain, le travail et les jeux et plus encore: la vie, le mouvement et l’être. Elle nous assigne une place et un rôle; elle peut tout, grâce aux marchandises et aux services; elle sait tout, grâce aux cartes de fidélité, aux caméras de surveillance et au relevé de toutes les traces que laissent nos activités, nos téléphones mobiles, nos navigations sur Internet, nos GPS et nos cartes de crédit; elle nous accable de ses conseils, de ses impératifs et de sa morale via la publicité et les médias. Ersatz impersonnel de Dieu, sorte de grand processus dans lequel tout le monde est embarqué sans que personne ne puisse décider quoi que ce soit de déterminant pour en infléchir le cours, cette société est aussi un Moloch qui broie ceux et celles qui ne parviennent pas à se maintenir à la hauteur de ses exigences et les rejette dans les ténèbres extérieures. Hors d’elle, pas de salut.

Pas étonnant que les zones d’ombre qui échappent aux lumières de la société d’hyperconsommation soient nombreuses. On a déjà mentionné la multiplication des actes violents et du vandalisme. Il y a des symptômes moins visibles: la dépression, l’insomnie, le découragement, les addictions de toute sorte, l’épuisement professionnel, quand ce ne sont pas le chômage, la maladie non prise en charge par les systèmes de santé, la mise à l’écart des vieux. Pourquoi tant de suicides chez les jeunes, pourquoi tant de conduites à risque et d’expériences extrêmes, comme pour jouer à la roulette russe? Le système se lézarde, le climat se réchauffe, les ressources naturelles s’épuisent, la finance est devenue un casino planétaire et l’économie va mal. Le pseudo-paradis décrit par Lipovetsky dans L’ère du vide ne pouvait pas durer, et nul ne sait ce qui lui succédera.

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Le mensonge

C’est ennuyeux de revenir sur une affaire dont tout le monde parle, mais comment faire autrement ? Ce qui me sidère dans l’affaire Cahuzac, c’est l’aplomb de cet homme. Durant des mois, dans les occasions et les lieux les plus solennels, il menti avec une constance impressionnante. Je lisais, j’entendais ses dénégations (je regarde peu les informations télévisées) et je me demandais pourquoi on s’acharnait sur lui alors qu’il affirmait clairement qu’il n’avait pas de compte à l’étranger, et qu’il ne variait pas dans ses déclarations ? Peut-on construire une accusation sur la base d’une conversation téléphonique enregistrée il y a plusieurs années, alors que la voix change entre le moment où on se lève et celui où l’on se couche, même si, c’est vrai, son timbre a quelque chose d’unique ?

Circonstance aggravante, ministre délégué chargé du budget et de la lutte contre l’évasion fiscale, il s’est rendu coupable de ce qu’il devait réprimer chez ses concitoyens. Pas bon pour sa crédibilité, ni pour celle du gouvernement auquel il appartient. Mauvais pour la confiance dans le monde politique, très mauvais pour la démocratie.

Il faut se réjouir de ce qu’il a été démasqué grâce au travail des journalistes de Mediapart. Se réjouir de ce que le mensonge éclate ainsi au grand jour. On a envie de citer l’Évangile : il n’est rien de caché qui ne sera connu, entendu au grand jour et proclamé sur les toits. Dans le cas de Jérôme Cahuzac, c’est fait et bien fait.

Mais il n’est pas facile de lutter contre le découragement quand la trahison morale atteint un tel niveau. Que dire à ceux et celles qui entonneront le refrain du « tous pourris » ? Comment empêcher que des électeurs, littéralement démoralisés, ne portent leur choix sur les extrêmes de l’éventail politique, où on ne manquera pas de promettre un grand nettoyage et des solutions aussi radicales qu’illusoires, mais destructrices des libertés ?

Quand Montesquieu raconte l’histoire des Troglodytes dans les Lettres persanes (lettres 11 à 14), il se désole de ce que les gens demandent un roi parce qu’ils sont fatigués de devoir être vertueux dans leur démocratie idéale. Ce sera au roi d’être vertueux pour tous. Aujourd’hui, les rois sont désignés lors des élections, et ils ne sont guère vertueux. Leurs ministres non plus.

Pâques aux tisons

Il neige et c’est presque Pâques. Le printemps se fait désirer, le temps est celui qu’on aurait aimé avoir à Noël l’an dernier. Un vieux dicton météorologique se voit confirmé. Et alors ?

Et alors les épargnants chypriotes se font du souci pour leurs économies, les autres craignent la contagion. Comme les flocons, des illusions tombent. La centrale nucléaire de Mühleberg, dont les anti-nucléaires affirment qu’elle est fissurée et dangereuse, et qui se trouve à moins de 20 kilomètres de chez moi et d’une partie importante de la population suisse, voit son autorisation d’exploitation renouvelée, parce que la plainte n’était pas recevable pour des motifs juridiques. Des gens manifestent ailleurs par dizaines ou centaines de milliers et leur opinion n’est pas même reconnue, encore moins écoutée. Je lis dans la presse que nous n’avons plus à nous faire du souci pour l’approvisionnement en pétrole, que c’est bon pour les deux siècles à venir, mais que les modes d’extraction sont extrêmement polluants et que c’est vraiment mauvais du point de vue des émissions de gaz à effet de serre – au point que si on laisse faire, tous les efforts qu’on pourrait consentir par ailleurs seraient anéantis. On apprend qu’un conseiller d’Etat fraîchement élu décore le plafond de son bureau personnel avec des symboles en usage chez les néo-nazis. Ciel, ma croix de fer !

Et alors ? Sale temps pour tout le monde et Pâques dans trois jours. Quand on voit ce que donnent les espoirs mis dans le progrès économique et social, on se dit qu’il vaut mieux se tourner vers une espérance qui n’est pas de ce monde. Ça pourrait faire la différence.

Retour sur ces dix derniers jours

Back to blogging 10/10

Voici donc le dernier billet de la série de dix que je me suis promis d’écrire en dix jours. C’est le moment d’un bref bilan sous forme de quelques remarques.

J’ai fait ce que j’avais décidé. En vacances au moment des premiers billets, j’ai continué durant la semaine dernière qui, du point de vue du travail, a été assez rude. Cette forme d’auto-discipline n’a pas été contre-productive.

Le temps que j’ai consacré à ce défi – une heure par jour – est celui que je consacre habituellement à un roman que j’ai en chantier. Impossible d’ajouter simplement les tâches aux tâches. C’était l’un ou l’autre.

Le tiers des billets postés sur ce blog depuis son ouverture il y a deux ans et demi l’a été ces dix derniers jours.

Le nombre de visites de mon site a nettement augmenté dès que j’ai commencé à publier mes posts. J’ai visité le site de quelques autres participants au challenge et j’y ai lu des choses intéressantes. Sans y laisser de commentaires, sauf un. C’est trop peu, j’en conviens.

La pompe est réamorcée ! Je vais continuer, mais à un autre rythme. Un billet chaque semaine, à jour fixe. Voilà pour la règle. Davantage, selon l’occasion et le désir.

Je sais maintenant que c’est possible. Merci à Stephanie pour son impulsion. Happy blogging à tous !

Le mur du papier

Back to blogging 9/10

C’est par commodité que j’ai décidé de réduire la quantité de papier dont je m’entoure, pas du tout en raison d’une conviction écologique attachée à la survie des forêts. Le bois, c’est renouvelable, et les moyens électroniques sont en définitive des consommateurs d’énergie en partie nucléaire, ce qui n’est pas vraiment propre. C’est pourquoi je ne vois pas de raison de renoncer par principe au papier, et j’aurais beaucoup de peine à franchir, en ce sens, le «mur du papier». Pour quatre raisons au moins.

Les livres. Si on aime la littérature, on aime les livres. On ne peut écrire soi-même des livres et ne pas aimer les livres. Ma bibliothèque en compte plus de trois mille, et j’y tiens. Chaque fois que j’en élimine – car il faut bien désherber -, c’est comme un petit deuil, même pour des titres qui sont devenus insignifiants ou pour ceux que j’ai à double. Il m’arrive d’en lire à l’écran ou sur mon téléphone, ça va pour certains genres, mais l’annotation reste malcommode et on ne peut pas feuilleter sa tablette comme on le fait avec un volume. Je n’ai pas d’exclusive, mais je préfère le livre fait avec du papier.

La correspondance. Il n’y a plus que les factures et les demandes de dons qui viennent par la poste. La correspondance personnelle envoyée par courrier postal est devenue rare et d’autant plus précieuse. Je m’en veux de ne pas m’y prêter davantage, tant le plaisir est grand d’ouvrir une lettre (avec un joli timbre) et de découvrir, sur un papier choisi, une écriture manuscrite.

Image credit: rook76 / 123RF Banque d’images

Les pense-bête. Bien sûr il y a Omnifocus et autres Evernote. Mais il reste tellement de situations où il faut noter deux trucs en vitesse, faire un bout d’addition, mettre un rappel à l’intention de quelqu’un d’autre. Incontournable, le papier.

Le bloc-notes dans la poche, avec un crayon ou un stylo. Beaucoup mieux qu’une note sur un téléphone portable, ou un enregistrement vocal ou le nœud au mouchoir. J’ai bricolé le mien à l’aide de fiches 3×5″ et de modèles trouvés il y a plusieurs années sur www.diyplanner.com. Je ne l’utilise pas très souvent, mais sa présence dans ma poche gauche me rassure : j’ai de quoi écrire, de quoi noter, de quoi donner une note à quelqu’un si nécessaire.

Comme on l’a montré la vidéo de la semaine passée, le papier a encore de l’avenir.

Writer plus

Back to blogging 8/10

Quand j’ai commencé sur Mac, les traitements de texte étaient peu nombreux. J’ai écrit mon premier livre sur MacWrite. J’ai aussi eu Word en version 1.0. La presse spécialisée française annonçait alors la sortie prochaine d’un nouveau traitement de texte dont le nom était Writer+. Ça m’a fait rêver un moment. Ce + allait faire toute la différence et libérer une créativité insoupçonnée.

La réalité n’a pas été à la hauteur des espérances. Le logiciel est sorti et, à ce dont je me souviens, la presse informatique française l’a salué comme un produit français intéressant mais perfectible, manière de dire leur déception devant ce qui semblait un paquet de bugs. On a donc continué de travailler avec MacWrite et quelques numéros supplémentaires de Word.

Tout de même, il existe maintenant un logiciel assez fabuleux pour qui écrit des textes longs, romans, thèses, pièces de théâtre, scripts, etc. C’est Scrivener. Je en vais pas me lancer dans une longue description du produit, qu’on trouvera sur le site de l’éditeur, Literature and Latte. Scrivener fait tout, sauf la mise en page. On peut y déposer des documents et des médias pour les consulter dans l’interface même du logiciel. On peut associer des métadonnées aux fragments qu’on écrit pour indiquer par exemple si on en est au shitty first draft ou à la rédaction finale. Il permet aussi de réorganiser ses textes très facilement, de fixer certains états du manuscrit, tout en gardant une vue synoptique sur l’ensemble du projet. Et quand on a terminé son projet, on en exporte ce qu’on veut vers un traitement de texte standard ou un logiciel de mise en page.

C’est le top, c’est lui le véritable Writer Plus. Je ne voudrais plus travailler avec autre chose.

Seul bémol, l’interface est en anglais. Mais il vient de sortir aussi en version windows. Tous les travailleurs du texte devraient l’essayer. C’est possible sans frais pendant 30 jours non contigus.

Dématérialiser la doc

Back to blogging 7/10

C’est peut-être paradoxal, mais je me suis parfois demandé si le succès de GTD ne tient pas en partie au fait qu’il suppose des investissements non seulement en temps, mais aussi en argent, et cela pour le classement des documents à conserver. On peut commencer à appliquer la méthode avec un bloc-notes, un carton en guise de boîte de réception et une corbeille pour jeter l’inutile. Mais si l’on suit David Allen dans sa quête de l’efficience s’agissant de retrouver un document classer, on va passer lourdement à la caisse. En effet, on aura besoin d’une étiqueteuse

et d’un système de dossiers allant dans un tiroir et donc dans un meuble :

En zélé disciple, j’ai acheté l’étiqueteuse et récupéré un élément de bureau à tiroirs. Je l’ai repeint parce que sa belle couleur vert pâle style bureau 1960 ne me plaisait pas. J’ai trouvé des dossiers papier qui ressemblaient aux manilla folders de The David. Il en faut beaucoup et ils ont représenté le poste le plus important de mon budget archives.

Pendant une année ou deux, c’était magique. Un document à classer ? Le dossier correspondant n’existe pas ? Hop ! un dossier neuf, une étiquette avec le mot-clé, et rangement par ordre alphabétique. Rapide et propre. Deux minutes, pas davantage. La magie a commencé à jouer moins bien quand mes deux tiroirs se sont retrouvés bourrés au point que je ne pouvais plus rien y glisser. Il a fallu gagner de la place en triant les dossiers et leur contenu pour jeter ce qui était devenu inutile. Et le moment est venu où j’ai dû me rendre à l’évidence: il faut acheter un nouveau meuble ou trouver une autre solution. Aucun meuble disponible en brocante, des prix de fou pour du neuf. La solution a été de consentir à un investissement dématérialisant et moins cher que deux gros tiroirs en tôle : un scanner rapide.

Tout y passe maintenant: les factures, les coupures de presse, les décomptes, parfois des magazines entiers. Il est rapide et propre, il produit des PDF indexables et les adresse aux applications de paiement ou de classement. Je n’ai plus besoin de tiroirs ni de classeurs supplémentaires, je retrouve tout rapidement avec un ou deux mots caractéristiques du document, et si je dois produire le document sous forme papier, je l’imprime.

Ah, le plaisir de passer ensuite les factures et les bulletins de versement au destructeur de documents !

La capture et les deux minutes

Back to blogging 6/10

J’aimerais revenir sur deux choses que j’ai évoquées hier en vue de gagner un peu de tranquillité d’esprit en s’angoissant moins.

La capture. Partout et en tout temps. Ubiquitous capture, qu’ils disent. Dès que l’idée d’une tâche fait surface, ou une idée tout court, il faut la capturer et pour cela avoir constamment sous la main le lasso adéquat. Au moins un crayon ou un stylo et du papier. Ou une note dans le téléphone. J’ai déjà dit combien je suis distrait. Si j’attrape l’idée quand elle se présente et si je la mets sur du papier ou dans la boîte de réception de l’outil informatique que j’ai sous la main, je suis tranquille, je ne l’oublierai pas. Il faut que ce soit facile, immédiat. Le papier ira dans la boite de réception physique et je l’y retrouverai quand je ferai ma révision en fin de semaine. La facture reçue ira au même endroit et ne sera pas oubliée au moment de faire les paiements. Je fais probablement grand cas d’une habitude tout simple que la plupart des gens connaissent. Pour moi, procéder ainsi a été un grand soulagement.

La règle des deux minutes. Au moment de la révision, prévoir du temps en suffisance. En effet, si on tombe sur une tâche qui peut être faite en moins de deux minutes, il faut la faire immédiatement. Pourquoi ? Parce qu’il faudrait plus de temps pour la noter et la remettre à plus tard que pour s’en acquitter sur-le-champ. C’est aussi simple que cela. Ces micro-tâches sont nombreuses et les négliger fait perdre ensuite beaucoup de temps.

Je n’ai pas eu beaucoup de temps à disposition aujourd’hui pour écrire ce billet. J’en avais noté le thème et je n’ai pas eu à réfléchir pour trouver une idée. Bon, ça m’a pris plus de deux minutes, mais j’ai pu caser le temps de rédaction dans celui qu’il m’a fallu pour rentrer chez moi ce soir avec le train et le bus. C’est déjà ça.

La productivité sans stress

Note (2013-03-20) : j’ai vraiment cru poster ce qui suit hier soir, mais j’ai rédigé en ligne et une panne de connexion WiFi m’a fait perdre presque tout le billet, à l’exception du début. J’essaie maintenant de reconstituer de mémoire ce qui a été effacé. Les gens qui ont essayé d’ouvrir le lien que j’ai tweeté ont dû se marrer : la productivité sans stress, et une page vide…

Back to blogging 5/10

Comme j’ai l’impression d’être peu performant, je lis volontiers les livres qui enseignent à faire plus en moins de temps, à s’organiser en développant une sensibilité nouvelle aux moments qu’on pourrait utiliser pour telle tâche qui attend son accomplissement, à mettre l’accent sur les vraies priorités, dans le style First Things First. Cependant, c’est David Allen et Getting Things Done (GTD) qui m’a convaincu qu’il ne suffisait plus de lire, mais qu’il fallait agir. La productivité sans stress, l’esprit comme une eau tranquille au milieu de l’action, voilà ce que j’ai voulu réaliser.

Avec GTD, on ne vous demande pas quel est le but de votre vie et comment celui-ci doit conduire vos actions les plus humblement quotidiennes (top down), on vous apprend à gérer les choses par l’autre bout, en fonction de ce qui se présente concrètement au jour le jour (bottom up).

Les idées les plus importantes (celles que j’ai retenues et que j’applique) sont les suivantes :

  • rassembler tous les documents, papiers, post-its et autres notes dans le même endroit, dans la boîte de réception. Tout ce qui arrive et qui implique quelque chose à faire doit passer par ici :

  • examiner les documents ainsi réunis un par un, en identifiant clairement s’il y a ou non une action impliquée
  • si cette action prend moins de deux minutes, l’exécuter immédiatement
  • s’il n’y a pas d’action impliquée, c’est qu’il faut jeter ou classer le document
  • si l’action impliquée prend plus de deux minutes, il faut la noter dans une liste en fonction du projet auquel elle appartient et en relation avec le contexte dans lequel elle doit être faite : dans quel lieu, avec quels outils, en relation avec quelles personnes, etc.

C’est ici qu’interviennent des outils spécifiques. Manifestement, David Allen pensait à des outils papier. Il a développé GTD durant les années 1990 et le modèle qu’il a en tête ressemble plus à un agenda classeur relié cuir d’un kilo, avec les divisions qu’il faut, qu’à un ordinateur. D’ailleurs, son site propose des accessoires à la vente qui ont longtemps été du papier; ce n’est que récemment qu’il a dépassé le stade des conseils pour bien utiliser Outlook. Il existe maintenant des solutions logicielles qu’on peut utiliser dans une perspective GTD de manière très souple et efficace. Pour ma part, j’utilise OmniFocus dans ses trois versions iPhone, iPad et Mac, toujours synchronisées. Ce que je mets dans la boîte de réception de l’un se retrouve dans les autres, et ainsi de suite. C’est très efficace.

Mais je mentirais si je disais que mon esprit est maintenant comme une eau tranquille au milieu du feu de l’action. Dans son dernier livre, Making It All Work, David Allen reconnaît d’ailleurs que ce n’est pas facile, parce que cela suppose la maîtrise de l’ensemble du processus qu’il propose, et qu’il a d’ailleurs fait un peu évoluer par rapport à la première mouture de Getting Things Done.

Néanmoins, la mise en place d’une partie de la méthode, ne serait-ce que le premier point de mon énumération, permet déjà de réduire le stress et l’anxiété.

Une pomme qui tombait bien

Back to blogging 4/10

Après les agendas papier, je suis passé au tout électronique en 1997 en achetant un Newton 2100, le dernier modèle de la gamme, last and least. Quelques mois plus tard, Apple décidait d’en arrêter la fabrication et le support, alors que ce merveilleux appareil était enfin parvenu à maturité.

Un vrai bonheur, une fois digéré le prix d’achat (il était horriblement cher). Reconnaissance de l’écriture manuelle, écran confortable par sa taille, intégration parfaite de l’agenda, du carnet d’adresses , des notes et de la liste des tâches, de très bonnes applications tierces, traitement de texte et tableur corrects. Il communiquait avec les téléphones et imprimantes au moyen de câbles, et ça fonctionnait. La gestion des mails était bonne, la navigation sur le web était possible, mais primitive. Son écran noir et blanc (gris foncé sur gris clair, disons) gérait mal les images. Le Newton ne lisait pas les MP3 et se contentait de jeux simples (échecs, backgammon, etc.). Mais on n’en demandait pas tant en 1997. Personne ne savait ce que WiFi veut dire, et les ports USB étaient encore à venir. Mais il y avait deux logements pour des cartes dont j’ai oublié le nom, ajoutant des fonctions ou de la mémoire.

J’ai beaucoup travaillé avec cette machine. Je l’ai ressortie hier de son tiroir pour essayer de la remettre en route. J’ai introduit quatre piles neuves et c’est reparti, j’ai retrouvé mes fichiers, mes notes de l’époque. En revanche, quand j’ai voulu régler la date et l’heure, je suis tombé sur une impossibilité : un bug du système d’exploitation fait que la machine cale au-delà du 5 janvier 2010 à 18:48:31. Il y a des patches de correction que je n’ai pas eu le temps d’appliquer, car pour cela il faut aussi remettre en route un vieux mac doté des ports capables de communiquer avec le Newton. Ce sera pour une autre fois peut-être.

La nostalgie du Newton ne touche pas que moi. Le site United Network of Newton Archive (unna.org) continue d’être maintenu par quelques passionnés, et on trouve des émulateurs Newton pour divers systèmes d’exploitation.