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Les robots ont-ils des droits ?

100% humains ?

Vers la fin du deuxième épisode de la série TV Real Humans (sur Arte en ce moment, avec site de vente en ligne !), des hubots (robots humains) fugitifs entrent dans une église. Ces hubots appartiennent à une série plus perfectionnée que le hubot d’entrée de gamme, qui fait les courses et le ménage ou a remplacé les manutentionnaires dans les usines. Plus perfectionnée encore que celle des hubots capables d’entrer en relation plus suivie avec les humains, au point de constituer des partenaires amoureux ou sexuels plus fiables et performants que l’humain moyen. Ils sont en effet capables de réfléchir sur leur situation, de faire des choix autonomes. Il est difficile de les distinguer de l’humain standard, sauf qu’ils sont en général nettement plus beaux et paraissent plus équilibrés et avisés dans leurs comportements.

Ils entrent dans cette église pour recharger leurs batteries. Ça n’est pas sans ironie envers les gens qui fréquentent ces lieux. En entrant, ils découvrent un grand crucifix. Ils réagissent par l’indifférence ou le dégoût, sauf un chez qui la vue du Christ crucifié éveille un début de sentiment religieux.

Clones

Cet épisode m’a rappelé un roman de Jean-Michel Truong, Reproduction interdite (1988), lu il y a des années. Il n’y est pas question de robots, mais de clones, doubles physiologiques jeunes de personnages célèbres, hommes et femmes politiques, capitaines d’industrie, comédiens et comédiennes, et de toutes les personnes assez riches pour payer la production et l’entretien de ces clones d’eux-mêmes. Ils sont parqués dans des centres où l’on évite soigneusement de leur enseigner quoi que ce soit, pour éviter d’en faire des êtres de cultures, donc des êtres humains. En effet, il ne serait plus possible de les utiliser comme des organismes sur lesquels on peut, sans conflit moral, prélever des organes pour les transplanter dans leurs « originaux » en cas de besoin, avec l’avantage qu’il n’y a aucun phénomène de rejet de la greffe.

Bien entendu, il y a des dérapages. Les doubles physiologiques des belles comédiennes font fantasmer certains clients, et un lupanar clandestin est mis en place. Vers la fin du roman, on découvre que les clones commencent à être autre chose que des organismes au cerveau vide. Certains se rassemblent la nuit et produisent des mélopées troublantes qui font penser à des chants religieux. Ici aussi, la découverte d’une transcendance indique leur accession à une pleine humanité.

Animaux ?

Bien avant Truong, Vercors avait publié, en 1952, Les animaux dénaturés en se posant un problème analogue. Il imaginait dans ce roman philosophique que des anthropologues ont découvert le « chaînon manquant » entre le singe et l’homme, non à l’état de fossile, mais de peuplade vivante. Dociles, aimables, travailleurs, enseignables, les « tropis » sont rapidement exploités comme des esclaves. Pourquoi s’en émouvoir ? Ce sont des animaux. Mais ce n’est pas aussi simple, et la suite du roman tourne autour de la manière d’établir une distinction claire entre l’homme et l’animal, ce qui suppose une réponse claire à la question « Qu’est-ce que l’homme ? ». La femme du juge chargé de l’affaire lui demande un jour si les tropis ont des grigris. S’ils en ont, alors ils ont une forme de conscience religieuse et doivent être considérés comme des hommes. Et ils en ont.

J’ignore quelles sont les convictions religieuses des auteurs de Real humans, de Truong ou de Vercors, si tant est qu’ils en aient, mais je trouve remarquable que, dans les trois cas, ce quelque chose que j’appelle une conscience religieuse soit retenu comme trait distinctif de l’humanité.

Personnalité juridique

Muni de ces quelques réflexions, je commence à entrevoir une proposition que je pourrais transmettre à Alain Bensoussan, qui propose de créer un statut juridique pour les robots :

Avec l’introduction d’une intelligence artificielle, le robot acquiert un degré d’autonomie de plus en plus grand. Il est aujourd’hui capable de réagir seul à l’environnement et à un certain degré d’imprévu. Or le robot n’a pas encore de place dans notre système juridique et n’a par conséquent ni droit ni obligation.

Bien entendu, sa proposition ne paraît bizarre que si l’on oublie tous les travaux visant la protection juridique des animaux et même des plantes. Néanmoins, je lui suggère d’attendre que l’on ait des signes clairs de l’apparition d’une conscience religieuse chez les robots pour les considérer comme sujets de droit. Pourquoi ? Parce que très souvent, quand les hommes doivent travailler et agir comme des robots, sous les injonctions de la pub et des médias, leur conscience religieuse s’en ressent.

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Le mensonge

C’est ennuyeux de revenir sur une affaire dont tout le monde parle, mais comment faire autrement ? Ce qui me sidère dans l’affaire Cahuzac, c’est l’aplomb de cet homme. Durant des mois, dans les occasions et les lieux les plus solennels, il menti avec une constance impressionnante. Je lisais, j’entendais ses dénégations (je regarde peu les informations télévisées) et je me demandais pourquoi on s’acharnait sur lui alors qu’il affirmait clairement qu’il n’avait pas de compte à l’étranger, et qu’il ne variait pas dans ses déclarations ? Peut-on construire une accusation sur la base d’une conversation téléphonique enregistrée il y a plusieurs années, alors que la voix change entre le moment où on se lève et celui où l’on se couche, même si, c’est vrai, son timbre a quelque chose d’unique ?

Circonstance aggravante, ministre délégué chargé du budget et de la lutte contre l’évasion fiscale, il s’est rendu coupable de ce qu’il devait réprimer chez ses concitoyens. Pas bon pour sa crédibilité, ni pour celle du gouvernement auquel il appartient. Mauvais pour la confiance dans le monde politique, très mauvais pour la démocratie.

Il faut se réjouir de ce qu’il a été démasqué grâce au travail des journalistes de Mediapart. Se réjouir de ce que le mensonge éclate ainsi au grand jour. On a envie de citer l’Évangile : il n’est rien de caché qui ne sera connu, entendu au grand jour et proclamé sur les toits. Dans le cas de Jérôme Cahuzac, c’est fait et bien fait.

Mais il n’est pas facile de lutter contre le découragement quand la trahison morale atteint un tel niveau. Que dire à ceux et celles qui entonneront le refrain du « tous pourris » ? Comment empêcher que des électeurs, littéralement démoralisés, ne portent leur choix sur les extrêmes de l’éventail politique, où on ne manquera pas de promettre un grand nettoyage et des solutions aussi radicales qu’illusoires, mais destructrices des libertés ?

Quand Montesquieu raconte l’histoire des Troglodytes dans les Lettres persanes (lettres 11 à 14), il se désole de ce que les gens demandent un roi parce qu’ils sont fatigués de devoir être vertueux dans leur démocratie idéale. Ce sera au roi d’être vertueux pour tous. Aujourd’hui, les rois sont désignés lors des élections, et ils ne sont guère vertueux. Leurs ministres non plus.

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Pâques aux tisons

Il neige et c’est presque Pâques. Le printemps se fait désirer, le temps est celui qu’on aurait aimé avoir à Noël l’an dernier. Un vieux dicton météorologique se voit confirmé. Et alors ?

Et alors les épargnants chypriotes se font du souci pour leurs économies, les autres craignent la contagion. Comme les flocons, des illusions tombent. La centrale nucléaire de Mühleberg, dont les anti-nucléaires affirment qu’elle est fissurée et dangereuse, et qui se trouve à moins de 20 kilomètres de chez moi et d’une partie importante de la population suisse, voit son autorisation d’exploitation renouvelée, parce que la plainte n’était pas recevable pour des motifs juridiques. Des gens manifestent ailleurs par dizaines ou centaines de milliers et leur opinion n’est pas même reconnue, encore moins écoutée. Je lis dans la presse que nous n’avons plus à nous faire du souci pour l’approvisionnement en pétrole, que c’est bon pour les deux siècles à venir, mais que les modes d’extraction sont extrêmement polluants et que c’est vraiment mauvais du point de vue des émissions de gaz à effet de serre – au point que si on laisse faire, tous les efforts qu’on pourrait consentir par ailleurs seraient anéantis. On apprend qu’un conseiller d’Etat fraîchement élu décore le plafond de son bureau personnel avec des symboles en usage chez les néo-nazis. Ciel, ma croix de fer !

Et alors ? Sale temps pour tout le monde et Pâques dans trois jours. Quand on voit ce que donnent les espoirs mis dans le progrès économique et social, on se dit qu’il vaut mieux se tourner vers une espérance qui n’est pas de ce monde. Ça pourrait faire la différence.