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Religion et politique

Et si Dieu avait quand même tous les droits?

Dieu a-t-il des droits en politique (3)

Lire la 1re partie / la 2e partie

Dieu a perdu ses droits en politique avec la Déclaration des Droits de l’homme et la fin de la monarchie de droit divin, mais les attentats contre Charlie-Hebdo et les tueries du 13 novembre dernier remettent en question des droits humains et l’universalité des valeurs des Lumières.

Dans les sociétés occidentales, Dieu n’a donc aucun droit en politique, sauf pour l’islam et les djihadistes qui s’en font les défenseurs auto-proclamés. Mais qu’en est-il d’un point de vue chrétien ? Reprenons la question à partir de ce qu’on peut lire dans la Bible, là où Dieu n’est pas un être suprême plus ou moins vague, mais un Dieu personnel, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu qui s’est révélé ensuite plus complètement en Jésus-Christ.

(Le développement qui suit doit beaucoup à une conférence de Robin Reeve, « Radicalité chrétienne et volonté hégémonique », en ligne ici.)

Tous les droits

Lisons le début du psaume 119 :

1 Heureux ceux dont la conduite est intègre, ceux qui marchent suivant la loi de l’Eternel!
2 Heureux ceux qui gardent ses instructions, qui le cherchent de tout leur cœur,
3 qui ne commettent aucune injustice et qui marchent dans ses voies!
4 Tu as promulgué tes décrets pour qu’on les respecte avec soin.
5 Que mes actions soient bien réglées, afin que je respecte tes prescriptions!
6 Alors je ne rougirai pas de honte devant tous tes commandements.
7 Je te louerai avec un cœur droit en étudiant tes justes sentences.
8 Je veux respecter tes prescriptions: ne m’abandonne pas totalement!

Ce passage, et quantité d’autres avec lui, montre que Dieu a des droits, qu’il a même tous les droits. Encore plus fort, c’est lui qui dicte le droit, qui fixe la loi, qui donne ses instructions, ses décrets, ses prescriptions, ses commandements et ses justes sentences.

A contrario, on peut interpréter le péché du premier homme et de la première femme comme l’expression de leur volonté de devenir comme Dieu (ou comme des dieux), connaissant le bien et le mal, autrement dit décidant souverainement du bien et du mal. La politique étant la mise en application de valeurs qui reposent sur une conception déterminée de ce qui est bon ou mauvais, elle est clairement de l’ordre de la Chute. Elle consiste à mettre en œuvre une autre loi que celle de Dieu, et dans ce sens, la politique est le lieu du mal. Il n’y a pas à s’étonner qu’elle soit si souvent décevante.

Monarchistes absolus

Quand nous prions le Notre Père, la prière même que Jésus a enseignée à ses disciples qui lui demandaient comment ils devaient prier, que faisons-nous ? Nous demandons à Dieu de réparer notre politique en disant Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Le Nouveau Testament annonce le règne hégémonique du Christ. C’est aussi pourquoi Dieu l’a élevé à la plus haute place et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom afin qu’au nom de Jésus chacun plie le genou dans le ciel, sur la terre et sous la terre et que toute langue reconnaisse que Jésus-Christ est le Seigneur, à la gloire de Dieu le Père (Philippiens 2:9-11). Cela va très loin et c’est présent dans de nombreux textes. Dans la parabole du bon grain et de l’ivraie est annoncé un tri final qui va clairement exclure du monde. Apocalypse 21 annonce une cité qui ne sera ouverte qu’aux seuls inscrits dans le Livre de Vie. Les exclus vont au devant d’un châtiment violent. Aucun pluralisme dans le royaume de Dieu. Jésus est subversif, il se présente comme LE chemin, LA vérité et LA vie, il déclare que nul ne peut aller au Père que par lui. Jésus n’est pas du tout relativiste. Il n’a rien d’un apôtre du consensus.

Bref, si nous étions cohérents avec nos prières, nous devrions êtres des monarchistes absolus appelant le royaume de Dieu sur la terre. Certains courants chrétiens sont d’ailleurs de cet avis.

La politique de Jésus

Mais regardons-y de plus près, et considérons l’attitude de Jésus et de ses disciples par rapport à la politique de leur temps, telle qu’elle est rapporte dans le Nouveau Testament. Quelques observations:

  • Jésus refuse l’usage de la violence pour la défense de la foi : tous ceux qui prendront l’épée péririont par l’épée, dit-il
  • Paul prône la soumission aux autorités dans Romains 13 : les autorités ont été établies par Dieu. Elles limitent le mal, elles sont en ce sens au service de Dieu. Paul ne donne en revanche aucun blanc-seing à telle autorité plutôt qu’à telle autre
  • Jésus paie l’impôt du Temple (on rêve de payer ses impôts en allant chercher la somme due dans la gueule d’un poisson comme le fait Pierre en arrière-plan dans la fresque de Masaccio). Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu, dit-il également.
Le tribut à César, peinture de Masaccio
Masaccio, Le paiement du tribut, Florence, chapelle Brancacci
L’Église du Nouveau Testament est également intéressante par son attitude à l’égard du pouvoir politique. Le théologien pacifiste Vernard Eller caractérise ainsi l’attitude de l’Église dans son livre Christian Anarchy (disponible en ligne) :
  • elle ne cherche pas à légitimer le pouvoir politique
  • elle ne cherche pas à combattre le pouvoir politique
  • elle ne cherche pas à se rendre honorable aux yeux du monde
  • elle ne donne pas de directives sur la gouvernance du monde
  • elle croit que Dieu accomplira sa volonté, indépendamment de l’aide que le pouvoir pourrait lui apporter.

Résumons : pas de lobbying politique dans le Nouveau Testament, mais la prière pour les autorités afin qu’il n’y ait pas de persécution et pour que la liberté de culte soit préservée. Cette soumission est cependant limitée, car l’objection de conscience est réservée.

En conséquence, rien de ce que nous venons de voir ne permet pas de justifier un régime totalitaire chrétien. Il n’y a aucune volonté hégémonique sur le plan politique.

Alors quoi ?

Comme souvent avec la foi chrétienne, nous nous trouvons devant une difficulté. Nous avons évoqué des passages qui militent en faveur d’une monarchie absolue, d’une théocratie sans compromis, et nous venons d’observer que Jésus et ses disciples ne paraissent pas se mêler de politique.

Nous prions Que ton règne vienne ! mais Jésus dit à Pilate que son royaume n’est pas de ce monde. On pourra juger que c’est une contradiction supplémentaire de la Bible, ou dire qu’on se trouve devant un paradoxe. Voyons un peu.

Mon royaume n’est pas de ce monde, dit Jésus. On est tenté de comprendre que son royaume est ailleurs, dans un autre lieu. Mais ce n’est pas certain, car lorsque les disciples de Jean-Baptiste viennent demander à Jésus s’il est celui qui doit venir ou s’ils doivent en attendre un autre, que répond-il?

Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez : Les aveugles recouvrent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres. Heureux celui pour qui ne ne serai pas une occasion de chute ! (Mt 11.4-6)

Cette réponse manquerait de netteté si nous ne la mettions pas en rapport avec la première prédication de Jésus à Nazareth dans Luc 4.18-21, quand il ouvre le livre du prophète Esaïe et lit le passage où il est écrit

L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a oint pour guérir ceux qui ont le coeur brisé, pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres; il m’a envoyé pour proclamer aux captifs la délivrance et aux aveugles le recouvrement de la vue, pour renvoyer libre les opprimés, pour proclamer une année de grâce du Seigneur. Puis il roula le livre, le rendit au serviteur et s’assit. Les yeux de tous, dans la synagogue, étaient fixés sur lui. Alors il se mit à leur dire : Aujourd’hui cette parole de l’Ecriture, que vous venez d’entendre, est accomplie.

Si ce n’est pas une déclaration politique…

Bref, le royaume de Dieu est là : Si c’est par l’Esprit de Dieu que moi je chasse les démons, le royaume de Dieu est donc parvenu jusqu’à vous, dit encore Jésus (Mt 12.28).

Il se passe donc des choses qui ne peuvent se comprendre que parce que le Royaume de Dieu a commencé, parce qu’il est déjà effectif. Les guérisons, les délivrances, les libérations, les miracles ne s’expliquent que par l’action de l’Esprit de Dieu. Les conséquences sont observables dans le monde, mais les causes ne le sont pas. L’Esprit souffle où il veut et n’est pas plus visible que le vent.

À suivre pour élucider ce dernier point.

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La politique du Dernier homme

Dieu a-t-il des droits en politique ? (2)

Lire la première partie – Avant la Révolution, les rois se voyaient comme les vicaires de Dieu sur terre. Depuis la Déclaration des Droits de l’Homme, c’est l’homme qui a des droits en politique.

Un texte de Nietzsche m’a donné beaucoup à réfléchir par rapport à cette évolution. C’est un passage d’Ainsi parlait Zarathoustra (1883) qui décrit ce qu’il appelle le « dernier homme ».

Portrait de Friedrich Nietzsche

Voici, je vais vous montrer le Dernier Homme :
« Qu’est-ce qu’aimer ? Qu’est-ce que créer ? Qu’est-ce que désirer ? Qu’est-ce qu’une étoile ? » Ainsi parlera le Dernier Homme, en clignant de l’œil.
La terre alors sera devenue exiguë, on y verra sautiller le Dernier Homme qui rapetisse toute chose. Son engeance est aussi indestructible que celle du puceron ; le Dernier Homme est celui qui vivra le plus longtemps.
« Nous avons inventé le bonheur », diront les Derniers Hommes, en clignant de l’œil.
Ils auront abandonné les contrées où la vie est dure ; car on a besoin de chaleur. On aimera encore son prochain et l’on se frottera contre lui, car il faut de la chaleur.
La maladie, la méfiance leur paraîtront autant de péchés ; on n’a qu’à prendre garde où l’on marche ! Insensé qui trébuche encore sur les pierres ou sur les hommes !
Un peu de poison de temps à autre ; cela donne des rêves agréables. Et beaucoup de poison pour finir, afin d’avoir une mort agréable.
On travaillera encore, car le travail distrait. Mais on aura soin que cette distraction ne devienne jamais fatigante.
On ne deviendra plus ni riche ni pauvre ; c’est trop pénible. Qui donc voudra encore gouverner ? Qui donc voudra obéir ? L’un et l’autre sont trop pénibles.
Pas de berger et un seul troupeau ! Tous voudront la même chose, tous seront égaux ; quiconque sera d’un sentiment différent entrera volontairement à l’asile des fous.
« Jadis, tout le monde était fou », diront les plus malins, en clignant de l’œil.
On sera malin, on saura tout ce qui s’est passé jadis ; ainsi l’on aura de quoi se gausser sans fin. On se chamaillera encore, mais on se réconciliera bien vite, de peur de se gâter la digestion.
On aura son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour la nuit ; mais on révérera la santé.
« Nous avons inventé le bonheur », diront les Derniers Hommes, en clignant de l’œil.

« Je vous le dis : s’ils se taisent, les pierres crieront ! » prévient Jésus (Luc 19.40). Ici, c’est Nietzsche qui crie, l’athée, le révolté contre Dieu. Son Zarathoustra, figure retournée du Christ pour célébrer le dépassement de l’homme vers le surhumain, est confronté aux derniers hommes qui lui disent que son surhumain, il peut se le garder. Ils n’en veulent pas.

Ici-bas et maintenant

Je trouve ce texte glaçant. Cette vision du devenir veule de l’humanité est troublante. Comment ne pas y voir notre monde désacralisé, vidé de tout idéal, sauf celui de la satisfaction immédiate du plaisir du moment ? « La sécularisation du monde est allée de concert avec la sacralisation du bonheur dans l’ici-bas », confirme Gilles Lipovetsky

C’est ici et maintenant que se joue l’essentiel, c’est ici-bas et maintenant que je dois réussir ma vie. L’injonction est forte et violente, soutenue par les médias et la publicité, qui ne cessent de nous donner des images de la réussite et de nous faire la morale en nous montrant ce qui nous manque encore pour être véritablement heureux. À aucun moment de l’histoire de l’humanité, autant de biens et de services n’ont été à la disposition d’un si grand nombre de personnes. On peut consommer, jouir sans entraves (revendication de mai) et se distraire à en mourir (titre d’un livre de Neil Postman publié en 1986). « Le besoin de sens ne fait même plus problème : Dieu est mort, les grandes finalités s’éteignent, mais tout le monde s’en fout, voilà la joyeuse nouvelle, voilà la limite du diagnostic de Nietzsche à l’endroit de l’assombrissement européen », dit encore Lipovetki.

Mais la machine a des ratés. Ça ne marche pas comme ça devrait. On ne suffit pas à la tâche, la satisfaction attendue n’est pas au rendez-vous. On déprime, on se décourage, on se dope, on consomme davantage, on se drogue, on songe au suicide mais on veut une mort douce, car la souffrance et la douleur apparaissant comme des figures du mal. Et on ne comprend pas pourquoi des jeunes refusent ce système, se radicalisent, se convertissent à un islam violent, partent pour la Syrie ou le djihad ou acceptent de se transformer en bombes humaines.

Nietzsche et le dernier homme ? Zarathoustra décrit l’homme quand toute transcendance a été aplatie, quand on a définitivement oublié que l’homme passe infiniment l’homme, comme le disait Pascal. On a tout, mais on n’a rien.

Quand l’universel redevient local

Charlie, j’ai l’impression qu’il y a longtemps que cela s’est passé, et pourtant c’était au début de cette année.

Les attentats contre Charlie-Hebdo ont fait douze morts, auxquels se sont ajoutés le lendemain les quatre victimes de la prise d’otages du magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes. Et depuis, les attentats du 13 novembre à Paris ont tué 130 personnes et en ont blessé 350. Nous ne savions pas que nous étions en guerre. L’État islamique a déclaré que « cette attaque n’est que le début de la tempête » contre les « croisés » et que « la louange et le mérite appartiennent à Allah ».

Cette irruption de la barbarie au sein de la civilisation est choquante, effrayante, inacceptable, mais elle est révélatrice de la crise dans laquelle nous vivons. Essayons de comprendre pourquoi.

Venger Allah et rétablir les droits de Dieu, en quelque sorte. Charlie-Hebdo avait blasphémé en publiant des caricatures du prophète. « On a vengé le prophète Mohammed ! » ont crié les assassins de Charlie.

Les idéaux de la Déclaration universelle des droits de l’homme ne suffisent plus. Ils sont aveugles à la transcendance. Tout le sacré se trouve dilué dans le relativisme. Or il y a quelque chose de totalitaire dans une société qui condamne l’être humain à une existence sans transcendance. Sans que cela ne justifie quoi que ce soit des atrocités qu’ils ont commises, les assassins de Charlie se sont présentés comme les défenseurs de ces droits de Dieu dans une société qui ne veut plus rien en savoir, sauf pour s’en moquer et blasphémer. On ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur ce point.

Les idéaux de la Déclaration universelle des droits de l’homme sont en crise, dit Abdennour Bidar : ils ne suffisent plus à produire des sociétés justes, ils laissent exploser les inégalités et ont perdu toute force d’attraction. « L’Occident n’est plus le cap de l’humanité » (Derrida). On a cru qu’ils avaient une portée effectivement universelle, mais pour beaucoup qui vivent ailleurs, c’est quelque chose de typiquement occidental. Ils estiment que l’Occident devrait cesser de croire qu’il doit imposer toutes ses idées au reste du monde.

Certains gouvernements refusent même qu’on les exprime. À l’occasion du 800e anniversaire de la Magna Carta de 1215, qui est à l’origine de l’État de droit, le Royaume Uni a organisé des expositions à travers le monde. Elle a été censurée en Chine, où le parti communiste a engagé un combat contre les « valeurs universelles » tenues pour occidentales.

Magna Carta (British Library Cotton MS Augustus II.106)

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Dieu a-t-il des droits en politique ?

Une question incongrue

Ce texte et ceux qui vont suivre dans la même série développe les thèses que j’ai défendues lors d’une conférence à Bourges le 12 novembre 2016 – la veille des attentats meurtriers de Paris. Je n’imaginais pas que cette douloureuse actualité lui donnerait un tel relief.

Demander si Dieu a des droits en politique, c’est poser une question incongrue. Pas question aujourd’hui de mélanger politique et religion dans une république laïque comme la France. L’État d’un côté, dans la sphère publique, la religion de l’autre, dans la sphère privée.

Photo Spiridon Ion Cepleanu (Travail personnel) [CC BY-SA 4.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0)], via Wikimedia Commons

Il n’en va apparemment pas de même en Suisse, car le préambule de la Constitution fédérale commence s’ouvre par « Au nom de Dieu Tout-Puissant ! ». Mais la différence n’est pas si grande qu’il y paraît, car certains cantons ont pris la forme de la république et se déclarent laïques; les autres ont choisi la neutralité confessionnelle. Le canton de Berne, confessionnellement neutre, rémunère les prêtres catholiques et les pasteurs de l’église protestante comme des fonctionnaires – de quoi faire hurler au scandale ce cher Søren Kierkegaard, pour qui « ministre du Christ » et « fonctionnaire » étaient deux termes incompatibles.

La question est incongrue pour d’autres raisons encore. Dieu a cessé d’avoir des droits en politique à partir de la Révolution française. Avant, le roi était institué vicaire de Jésus-Christ pour le royaume de France. Bossuet a eu la tâche impossible d’être le précepteur du seul fils légitime de Louis XIV, qui était destiné à régner. Il lui a prodigué les meilleurs conseils possibles et a écrit La politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte. C’est en lisant principalement l’ancien Testament qu’il a essayé de dégager des principes politiques qui pouvaient être enseignés à un futur roi de France. Il y a trouvé des arguments en faveur de l’absolutisme et du droit divin des rois. Le gouvernement est d’origine divine, c’est de Dieu que les rois reçoivent leur pouvoir et c’est au nom de Dieu qu’ils gouvernent. Si vous visitez l’exposition des joyaux de la couronne britannique à la Tour de Londres, vous pourrez y voir la cuillère d’onction qui sert précisément à conférer une onction divine au roi ou à la reine d’Angleterre.

Couverture du livre de Bossuet
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Dieu a donc des droit en politique sous l’Ancien régime et dans certaines monarchies, et c’est au roi de faire valoir les droits de Dieu par son gouvernement.

Avec la Déclaration des droits de l’homme, la Révolution a instauré une rupture complète. En affirmant la primauté des droits de l’homme, elle a relégué les éventuels droits de Dieu à une place tout à fait subalterne, c’est-à-dire à l’intérieur des consciences de ceux et celles qui voulaient bien faire à Dieu la faveur de l’accueillir et de croire en lui. à partir de là, en politique, la voix de Dieu est remplacée par la voix du peuple : en démocratie, vox populi = vox dei. Cela s’appelle volonté générale chez Rousseau, peut-être sentiment des citoyens chez Voltaire (dans une méchante lettre à propos de Rousseau). Ni l’un ni l’autre n’en appelle à Dieu pour la politique.

Dès lors, à la question de savoir si Dieu a des droits en politique, il faut répondre aujourd’hui qu’on ne lui en reconnaît aucun. La foi en Dieu n’est plus qu’une affaire privée, la politique devient une affaire purement humaine. Elle est littéralement athée, puisqu’elle fonctionne sans Dieu.

Mais les politiciens chrétiens ? me direz-vous. Ce sont des hommes et des femmes aux fortes convictions chrétiennes, engagées en politique, qui cherchent la direction de Dieu pour leur action et pour leur vie. Je suppose pour ma part qu’ils font du bon travail, mais je n’irais pas jusqu’à dire qu’ils font de la politique chrétienne. Cette expression n’est pas appropriée pour décrire leur position, parce qu’il en va un peu de la politique comme de la philosophie dans un débat qui a fait rage dans l’entre-deux-guerres, quand on cherchait à déterminer la spécificité de la philosophie chrétienne. Les philosophes catholiques disaient que la philosophie chrétienne existait puisqu’ils en faisaient. Cet argument ne convainquait pas le grand historien de la philosophie Emile Bréhier, qui avait déclaré avec une certaine brutalité qu’il n’y a pas plus de philosophie chrétienne qu’il n’y a de mathématiques chrétiennes ou de chimie chrétienne. Je partage cette position en relation avec notre sujet. Tous les politiciens ont un point de vue, un projet et des valeurs. Il n’y a pas de politique chrétienne. On trouve des chrétiens engagés dans tous les partis. Les chrétiens qui font de la politique font de la politique. Point barre.

Il aura donc suffi que l’État pratique la neutralité en matière religieuse au nom de la laïcité pour reléguer la foi en Dieu dans la sphère intime et favoriser par là une transformation profonde des sociétés occidentales. Nous peinons à mesurer à quel point notre société et nos mentalités ont changé, principalement depuis quelques dizaines d’années. La pratique religieuse est en chute libre, toutes les statistiques le confirment. Que ferons-nous des églises dans vingt ou trente ans, lorsque les prêtres et pasteurs actuellement en poste ne seront plus là, sans avoir été remplacés par de jeunes collègues, parce que la relève est trop faible. Notre foi chrétienne, bien au chaud dans les recoins de nos consciences, peine à se manifester, peine à conduire nos choix et nos actes. Les manifestations publiques de la foi sont mal reçues, perçues parfois comme une forme de violence. Certains y sont carrément allergiques. J’ai appris récemment qu’à Genève (la Rome protestante !), il est question d’instaurer une loi interdisant le port de toute espèce de symbole qui pourrait marquer une appartenance religieuse, par exemple la croix en pendentif au bout d’une chaînette. Le Conseil municipal de Neuchâtel vient de se ridiculiser en ordonnant le retrait de la crèche de Noël qu’on avait mise sous le grand sapin illuminé en face de l’Hôtel de Ville. La crèche a été déposée 200 mètres plus loin à proximité du Temple du Bas – qui n’a plus du temple que le nom.

Chaises dans une église vide

La religion a déserté l’espace public. De nombreuses manifestations culturelles et sportives ont lieu le dimanche matin. Le domaine public est dominé par une mentalité souvent cool, bienveillante, un peu craintive, qui valorise la consommation de biens matériels, de biens culturels aussi. L’industrie des loisirs s’acharne à prouver que le monde n’a plus rien de la vallée de larmes que seule l’espérance chrétienne rendait supportable. Le monde est agréable, il fait bon y vivre, c’est le moment d’en profiter.

Dois-je préciser que ne j’ai aucune nostalgie pour les temps anciens et que je suis heureux de vivre dans un démocratie libérale ? Mais de là à y trouver tout mon compte, il y a un pas.

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Religion et politique

Conférence à Bourges

Dieu a-t-il des droits en politique ?

C’est le thème que j’aborderai dans une conférence que je tiendrai jeudi 12 novembre à Bourges au Temple protestant, 3 rue Vieille Saint-Ambroix, à 19h30.
La présentation que voici reprend les éléments du flyer que vous pouvez télécharger ici.

Autrefois, pour définir les valeurs d’une société, on se référait, même indirectement, à une autorité suprême.

Aujourd’hui, l’Homme moderne se retrouve absolument seul avec ses responsabilités : il est à lui-même sa propre loi.

Ce mouvement a sa contrepartie : le retour du religieux dans ses versions les plus dures. Certains récusent les Droits de l’Homme et leur opposent les Droits de Dieu pour gouverner la société tout entière.

Les attentats contre Charlie-Hebdo sont symptomatiques de ce conflit.

Vous êtes donc invités à venir réfléchir avec nous à ces questions extrêmement quotidiennes.

L’exposé sera suivi d’un débat au cours duquel vous pourrez poser vos questions.

Je dédicacerai mes deux ouvrages : La Poursuite du vent et La Sagesse ou la Vie.

L’entrée est libre, tout comme la participation aux frais.

Pour tout renseignement, appelez le 02 48 24 76 50.

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Écrire

Comment j’apprends à écrire

Vous me direz que c’est tard pour me mettre à apprendre à écrire. Mais il s’agit d’écrire une histoire. J’ignore quand je pourrai conclure, mais je suis convaincu que ce moment arrivera. Ce que je sais maintenant, c’est que j’ai une dette immense envers Shawn Coyne.

Vous ne le connaissez pas ? Allez sur The Story Grid et vous verrez de quel bois il se chauffe. C’est tout à fait déstabilisant pour quelqu’un qui a grandi dans la culture française et son culte du génie littéraire. Sauf que si l’on appliquait les choses qu’il a découvertes et qu’il livre avec une générosité déconcertante, les romans français qu’on publie de nos jours nous tomberaient moins facilement des mains.

Thank you so much, Shawn. You’re a great man.

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Religion et politique

Raison autonome et exercice du pouvoir

C’est le titre de la conférence que j’ai donnée à Lausanne le 12 octobre. Une vidéo en a été faite. Vous pouvez la voir dans le site scienceet foi.ch.

capture raison autonome

Vous y trouverez également la vidéo des autres conférences de la série.

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Religion et politique

Idéologies, religions et exercice du pouvoir

Il s’agit d’un cycle de cinq conférences qui se tiendront à Lausanne. Elles seront données le dimanche soir à l’église de Villard et le mercredi à 12h15 à l’Université de Lausanne.

La première a lieu ce dimanche 28 septembre, avec Claude Baecher : Christianisme et chrétienté, des nuances importantes.

Il se trouve que je donnerai la deuxième dimanche 12 et mercredi 15 octobre, sous le titre Raison autonome et exercice du pouvoir. 

Pour découvrir l’ensemble du cycle et pour les renseignements pratiques, téléchargez le flyer et visitez également www.scienceetfoi.ch.

 

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Invisible et impensable…

Pourquoi croire en Dieu sans preuve ? C’est la question à laquelle on m’a demandé de répondre aujourd’hui dans le cadre des GB Days à Lausanne (université, Amphimax 410, à 12h15).

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Francophonie

Je me souviens

Quelques observations, après trois semaines de vacances passées au Québec, où je n’étais encore jamais allé. Voici la première.

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Je me souviens. La devise du Québec est partout. Elle est inscrite sur les plaques d’immatriculation des véhicules depuis 1978. Elle fleurit sous un canon dans la citadelle à Québec. Elle orne la façade de l’Hôtel du Parlement et figure sur les armoiries du Québec.

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D’emblée, on est invité à se placer dans une perspective historique, à vivre l’aujourd’hui comme étant nourri du passé qui en a modelé la possibilité. Peut-être ces trois mots ne sont-ils que le début d’une devise plus longue, comme on le lit dans Wikipedia :

Je me souviens /Que né sous le lys / Je croîs sous la rose.

Le lys symbolise la France et la rose l’Angleterre. Ce qui m’étonne tout de même, c’est que le souvenir se rapporte à ces deux origines européennes, aux conquêtes, aux rivalités des deux, aux combats. Beaucoup moins aux peuples autochtones, qui habitaient pourtant le pays avant l’arrivée des européens, et dont la présence est peu apparente, si ce n’est dans certains lieux comme Essipit où, tout à coup, les panneaux officiels sont en deux langues, le français et la langue des autochtones apparenant à la nation Innu. Mais n’étant pas allé les visiter, je ne peux en dire davantage.

Reste le souci, constaté à divers endroits, de valoriser les choses anciennes, les maisons d’habitation construites vers la fin du XIXe siècle à L’Anse Saint-Jean, par exemple, la chapelle des Indiens à Tadoussac (l’une des plus anciennes églises en bois en Amérique du Nord), le quartier du port aussi bien à Montréal qu’à Québec. Besoin d’enracinement, d’une densité humaine que l’on acquiert en connaissant sa propre histoire ? Les monuments et les vieilles maison en sont les traces visibles, mais c’est la mémoire qui fait l’essentiel, et c’est pour cela qu’il faut pouvoir dire Je me souviens.

Il ne m’est pas indifférent que ces trois mots soient aussi le titre d’un texte de Georges Perec, dans lequel il égrène 480 souvenirs en quelques mots qui suffisent à évoquer une réalité disparue et, sans eux, oubliée. On peut en lire une partie ici. Voici comment il les présente (citation reprise de l’article de Wikipedia) :

des petits morceaux de quotidien, des choses que, telle ou telle année, tous les gens d’un même âge ont vues, ont vécues, ont partagées, et qui ensuite ont disparu, ont été oubliées ; elles ne valaient pas la peine de faire partie de l’Histoire, ni de figurer dans les Mémoires des hommes d’État, des alpinistes et des monstres sacrés.

Il arrive cependant qu’elles reviennent, quelques années plus tard, intactes et minuscules, par hasard ou parce qu’on les a cherchées, un soir, entre amis ; c’était une chose qu’on avait apprise à l’école, un champion, un chanteur ou une starlette qui perçait, un air qui était sur toutes les lèvres, un hold-up ou une catastrophe qui faisait la une des quotidiens, un best-seller, un scandale, un slogan, une habitude, une expression, un vêtement ou une manière de la porter, un geste, ou quelque chose d’encore plus mince, d’inessentiel, de tout à fait banal, miraculeusement arraché à son insignifiance, retrouvé pour un instant, suscitant pendant quelques secondes une impalpable petite nostalgie.

Il importe de nommer les choses, de dire les événements, de mentionner les personnes qui ont participé à une œuvre, à une histoire, à un combat. C’est sans doute le meilleur moyen de les honorer que de garder mémoire de leur nom. D’où les albums de photos, les retrouvailles des familles, des anciens élèves, des anciens combattants. D’où encore les génériques de fin des films, les généalogies, les pierres tombales, les mémorials, les monuments aux morts — et les bibliothèques.

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Courir Slow Motion

La course, 250 km plus tard

J’ai déjà raconté comment je me suis mis à la course à pied. C’était le 4 mai dernier. Le moment est venu d’un bilan, après un peu moins de quatre mois d’entraînement à raison de trois sorties hebdomadaires, tôt le matin.

Pour rappel, le 4 mai, je venais de fêter mes 62 ans et de remarquer que ma balance affichait 112 kilos et des dixièmes pour une taille de 174 cm. Voilà la situation de départ, l’Ausgangslage, comme disent les Alémaniques. Ce jour-là, j’ai couru 890 mètres à une vitesse moyenne de 9:47 au km. Pas d’une traite, mais en alternant jogging (une minute) et marche (une minute et demie). Épuisé, mais très fier de cette performance, véritable saut quantique dans ma pratique sportive, j’en étais au premier des 27 entraînements du programme Couch-to–5K. Lors du dernier, le 13 juillet, j’ai réalisé 3,57 km à 8:23 au kilomètre. Concrètement, cela signifie que j’étais devenu capable de courir pendant 30 minutes sans m’arrêter.

 

C’est vraiment très lent, je l’admets, mais je recherche avant tout l’endurance, la capacité de courir longtemps, peu importe si c’est lentement. Pour aller plus vite, il faudrait que je m’allège. J’ai perdu 7 kilos depuis le 4 mai et je compte en perdre d’autres. Je suis encore à 30 kilos de mon poids idéal, mais diminuer autant n’est plus de mon âge et c’est même une perspective qui fait peur si je pense à notre chat Gandalf : longtemps en surpoids, il a beaucoup maigri. Ça se voit peu, parce qu’il a gardé sa peau de gros chat, sauf qu’elle s’est mise à pendre à mesure qu’elle se détendait. Que ferais-je de toute ma peau si je perdais 30 kilos ?

Pour en revenir à mes performances, je n’étais pas satisfait. Je voulais courir 5 kilomètres et j’en étais à 3,57. Je me suis alors donné l’objectif de courir sans m’arrêter sur 5 kilomètres. J’ai augmenté progressivement la longueur de mes itinéraires et j’ai atteint les 5 kilomètres 10 jours plus tard (en 45:06). Enhardi par cette belle progression, j’ai continué d’en faire toujours un peu plus. Alors que je choisissais avec soin des parcours aussi plats que possible, je me suis mis à désirer du dénivelé. Je ne vous dis pas ma joie lorsque j’ai réussi pour la première fois à terminer un parcours de 10 km avec 97 mètres de dénivelé. Sans surprise, j’ai mis deux fois plus de temps que sur 5 km.

Ce matin (jour de congé), je suis parti courir sur un nouvel itinéraire. Ma femme m’a déposé près d’un chemin forestier et je suis rentré à la maison en faisant des détours pour que ce soit plus long.

Musique dans les écouteurs (chers écouteurs qui ne m’empêchent pas d’entendre ce qui se passe autour de moi), avec les indications d’Amélie tous les kilomètres et toutes les dix minutes, j’ai fait un parcours dont la longueur n’est pas la même suivant qu’elle est mesurée par mon appli Runtastic (ci-dessus) ou par un dessin sur la carte de SuisseMobile (plus bas).

Runtastic avec le GPS, c’est comme les CFF pour le calcul du tarif des billets : les kilomètres font parfois moins de 1000 mètres. Ai-je couru 12,4 ou 11,7 kilomètres ? Avec 167 ou 143 mètres de dénivelé ? Je n’en sais rien, mais je trouve agréable d’avoir des indications au fur et à mesure de ma course, même approximatives.

 

Surtout, je mesure le chemin parcouru. Pas seulement les 250 kilomètres accumulés. Pas seulement les 7 kilos évaporés. Les sorties que je fais maintenant font beaucoup moins mal que les premières, alors que je cours au moins 20 kilomètres par semaine. Je ne sais toujours pas comment un tel changement a été possible, après 50 ans de détestation de l’effort et du mouvement. Au fond, je n’y suis pour rien. Mais c’est du plaisir. Et c’est tellement bon pour le moral et l’estime de soi.