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Bouts d'essai

Chronologie toute personnelle des événements politiques qui m’ont marqué

Né avec la seconde moitié du XXe siècle, je me suis demandé quels sont les événements politiques qui m’ont particulièrement frappé. Le résultat est évidemment partiel, partial et totalement subjectif.

J’ai souvent eu le sentiment que les choses qui s’étaient passées avant ma naissance relevaient pour ainsi dire de la préhistoire. Je n’en étais pas, je n’en ai eu connaissance que par ouï-dire et, plus tard, par mes lectures et les leçons d’histoire. Mon monde à moi a commencé quand j’ai commencé à en percevoir des échos. Le premier a été le lancement du satellite Spoutnik en 1957. Les gens du quartier s’étaient retrouvés pour essayer de le voir passer dans le ciel, mais personne n’était sûr que le truc brillant qu’on voyait était bien le satellite et pas un avion. C’est la première fois que j’ai entendu l’expression « les communistes ».

Dans ma famille, on avait l’habitude d’écouter sur Sottens le bulletin de l’Agence télégraphique suisse, tous les jours à midi quarante-cinq, précédé du signal horaire de l’Observatoire chronométrique de Neuchâtel: de longs sifflements et des bips sur les cinq dernières secondes, le dernier deux tons plus haut, de quoi remettre les pendules à l’heure. Le « speaker » officiel, toujours le même, parlait sur un ton neutre (évidemment) de l’Algérie, de l’OAS, du général de Gaulle et des autres actualités. Ce n’est que plus tard que j’ai commencé à comprendre ce qui s’était joué durant la fin des années cinquante, grâce à Camus, Sartre et quelques autres.

Le premier grand coup est venu en 1963 avec l’annonce de la mort du président Kennedy. La nouvelle a été donnée en soirée à la radio, qui a interrompu ses programmes pour la communiquer, après quoi il n’y a plus eu que de la musique classique jusqu’à la fin des émissions. L’émotion était intense. Tout le monde était choqué. Aujourd’hui encore, on ignore qui sont les véritables auteurs de cet assassinat, mais on en reparlera l’an prochain pour le cinquantième anniversaire, pas de doute. C’est à partir de ce jour-là que j’ai commencé à m’intéresser de plus près à l’actualité politique.

J’avais dix-sept ans au moment de mai 68. Pour moi aussi, ces événements ont été une révolution. Tout pouvait être remis en question, les valeurs qu’on m’avait inculquées aussi bien que le style de l’éducation que j’avais reçue. J’y trouvais des aliments pour ma révolte adolescente et des arguments pour une prise de conscience politique au moment où la guerre au Vietnam battait son plein. Martin Luther King, qui luttait pour la paix, venait d’être assassiné à Memphis (Tennessee).

En août de la même année, nouveau choc avec l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie. La force armée écrasait une révolution démocratique et pacifique qui donnait à espérer qu’il était possible de vivre autrement.

En 1969, je me suis passionné pour l’aventure des astronautes d’Apollo 11 et, dans un café de Rotterdam, j’ai vu Neil Armstrong poser le pied sur la lune. C’était aussi l’année du festival de Woodstock.

En 1970, j’ai déploré la séparation définitive des Beatles et pensé avec beaucoup d’autres que Yoko Ono, la nouvelle femme de John Lennon, en était la cause.

J’ai curieusement peu de souvenirs aussi précis des années 1970. Il y a eu les actions terroristes en Allemagne et en Italie, bande à Baader et Brigades rouges. Il y a eu aussi l’assassinat (encore un) de Salvador Allende en 1973, nouvel écrasement violent d’une espérance que l’action politique pouvait changer les choses en bien. Idem, en 1979, avec l’arrivée au pouvoir, en Iran, de l’ayatollah Khomeini. Je commençais à réaliser qu’en politique, le contraire du mal n’est pas le bien, mais une autre forme de mal, souvent pire.

Des années 1980, je me souviens des vives tensions entre l’Est et l’Ouest, de la folle croissance des armements en Europe, missiles Pershing dirigés vers l’URSS et missiles soviétiques dirigés vers l’Europe occidentale. En Allemagne, les pacifistes défilent avec le slogan « plutôt rouges que morts ». On craint qu’un incident ne déclenche un cataclysme nucléaire. Qui prévoyait alors que 1989 verrait la chute du Mur de Berlin et bientôt celle de tout le système soviétique dans les pays de l’Est au début des années 1990 ?

Avec le 11 septembre 2001, je rejoins les souvenirs vécus de tous ceux qui pourront lire ceci. On a eu l’impression qu’une période nouvelle s’ouvrait, imprévisible, que les vieux schémas ne permettaient pas de comprendre. On se demande quand le XXe siècle, comme entité historique, s’est terminé. La chute des deux tours du World Trade Center est une date possible, mais celle de la chute du communisme soviétique me paraît plus significative. Dans cette perspective, le XXe siècle a été court mais extrêmement violent et sanglant: il a duré de 1914 à 1989. Depuis cette date, l’histoire au jour le jour est devenue beaucoup moins lisible.

J’aurais pu citer d’autres événements, par exemple la chute du franquisme en Espagne, le combat des dissidents de l’Est, l’aventure de Solidarité en Pologne avec le combat de Lech Walesa, appuyé par la présence d’un pape polonais au Vatican. Et d’autres encore, tels la naissance du canton du Jura ou le discours d’Adolf Ogi, président de la Confédération, devant son sapin à Kandersteg. Ce qui me frappe, c’est la manière dont les événements subséquents relativisent ceux qui les ont précédés. Je me contenterai d’un exemple : qui aurait cru, en 1968, que l’un des fers de lance du mouvement, Alain Geismar, deviendrait inspecteur général de l’Éducation nationale vingt-deux ans plus tard?

Tout cela, à coup sûr, paraîtra à beaucoup de lecteurs jeunes appartenir à leur propre préhistoire. Mais le monde a commencé avant eux, et bien avant moi. Faire ce genre de pointage donne aussi l’occasion de relativiser les points de vue auxquels nous sommes présentement attachés.

Et pour vous, quels ont été les événements marquants ?

Une réponse sur « Chronologie toute personnelle des événements politiques qui m’ont marqué »

Monsieur,
A la recherche de l’historique du signal horaire de l’Observatoire chronométrique de Neuchâtel, supprimé en 1981, j’ai eu le plaisir de lire votre commentaire du 21 juillet 2012. Le signal horaire avait aussi une valeur symbolique : trente secondes consacrées à régler sa montre et autres horloges, souvenir du jour où j’avais entendu pour la première fois le mot “retard”, ressenti comme un délit, au pays de la ponctualité. Le son aigu évoquait la précision. Je regrettais que ce son ne soit pas fixé sur le la, ce qui aurait donné l’occasion de l’exercice quotidien du la. Par ailleurs, matin et soir, était diffusée l’horloge parlante avec la voix de Pierre Ruegg, avec le sforzando sur le a d’ “exactement”. Le soir, après le bulletin de l’Agence télégraphique suisse, on pouvait apprécier le “Miroir du Monde” où participaient Pierre Béguin, Christian Sulser, Benjamin Romieux, Jacques Matthey-Doret et d’autres journalistes.
Un rêve serait de rétablir un bulletin d’information radiophonique à vingt heures, suivi du “Miroir du Monde” à faire renaître de ses cendres. Personne ne sait si cela se réalisera un jour… Le vendredi soir rappelle l’époque de “La situation internationale” vue par René Payot.
En vous remerciant de votre contribution, je vous prie d’agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.
Stanislas Arczynski

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