J’ai dû donner mes appreils auditifs en révision aujourd’hui. Je les retrouverai dans une semaine. Qu’est-ce que je me réjouis ! Quand je les porte, mes acouphènes quittent le premier plan. Ils reculent de deux ou trois degrés. J’entends d’autres choses, le chant des oiseaux par exemple, et je comprends mieux ce qu’on me dit, parce que les appareils compensent les fréquences auquelles je suis devenu sourd.
En ce moment, mes acouphènes sont là, stables, forts, rectilignes d’une oreille à l’autre, un sifflement continu sur deux ou trois fréquences simultanées, combinées, stables et raides. Je repense aux téléviseurs des années soixante, qui sifflaient dès qu’on les allumait. C’est pareil, sur une fréquence probablement plus basse, parce que je n’entends plus les fréquences supérieures à 10 kHz. Je n’ai pas l’impression qu’elles me manquent. Ce qui me manque, c’est le silence des acouphènes. Ça va mieux la nuit, car j’ai appris à en faire abstraction, ou parce que leur intensité diminue, je ne sais pas.
Le jour où je n’entendrai plus mes acouphènes, je serai mort ou ressuscité, ma préférence allant au deuxième terme.
J’ai probablement détruit mes oreilles lors d’un concert de Frank Zappa à Berne dans les années 1980. Je me tenais à l’arrière de la salle, mais je me suis avancé dans le couloir latéral de droite pour aller aux WC ou chercher à boire, je ne sais plus. Il y a eu un moment où je me suis rendu compte que c’était trop. La musique m’arrivait dessus comme des blocs de béton. C’était fort à en atteindre une sorte d’abstraction de silence.
Les acouphènes ne sont pas apparus immédiatement. Ils ont attendu vingt ou trente ans pour s’inviter. Depuis, ils sont si bien installés que je ne peux plus espérer les voir s’en aller. Les sons que j’entends me parviennent comme à travers un solide grillage sonore.
Mais bon, ça ira mieux dans une semaine.